Now Reading: BAD+ 2024 : Nouveau rendez-vous (manqué ?) de l’art.

Loading
svg
Open

BAD+ 2024 : Nouveau rendez-vous (manqué ?) de l’art.

4 juillet 202423 min read

Le BAD+ 2024, rendez-vous incontournable de l’art contemporain, du design et de l’art de vivre, anime Bordeaux avec sa troisième édition. Découvrez quarante galeries renommées, des œuvres innovantes et des dégustations de crus locaux. Un événement unique qui célèbre la créativité et le patrimoine bordelais, attirant amateurs d’art et curieux. Ne manquez pas ce festival vibrant et inspirant !

Openning !

      La troisième édition du BAD+ (Bordeaux Art & Design) rassemble une quarantaine de galeries avec beaucoup de savoir-faire autour de l’Art contemporain, du Design et de l’Art de vivre. Ce dernier axe le distingue des autres rendez-vous. Daniel et Florence Cathiard, propriétaires de Haut Smith Laffite qui accueillent en résidence Lélia Demoisy, ont su valoriser ce patrimoine exceptionnel qu’est le terroir bordelais notamment récemment auprès de SM le roi d’Angleterre. Ils poursuivent cette trajectoire autour de l’art contemporain en collégialité avec Chasse-Spleen, Fleur de Lisse, Arsac, Ferrand, Kirwan, Malengin… Tous acteurs de la programmation Art dans la ville et hors les murs. Quant au bon Roi Charles, il aurait pu poursuivre sa visite autour des acteurs culturels et économiques descendants des familles existantes avant la bataille de Castillon, plutôt que d’aller serrer des british paluches expatriées qui ne voteront plus jamais chez-lui ! Revenant à l’art de vivre, les bordelais se réveillant en général à 18 heures, furent au rendez-vous d’un vernissage chaleureux, animé par les propriétaires de moult crus proposant de sémillantes dégustations : merlots et cabernets francs coulaient à flot (modéré) dans les allées et sur les ponts du Dock. A donner des idées à Art Paris ou Paris+ par Art Basel, sorry Art Basel Paris qui se meurent dans l’austérité. C’est quand même plus facile pour vendre et pour faire l’acquisition d’une œuvre. Sinon une soirée de gala en construction, au profit de la fondation Bergonié et de la recherche contre le cancer a lancé la foire. Les mécènes ne se bousculent pas encore au portillon. Ceux qui sont là sont vraiment présents. Il faut les féliciter.

 

Troisième édition

         Back to the BAD, il fallait être courageux il y a deux ans pour enfourcher une date complètement allumée : juillet. Pour initier pareille manifestation et profiter du flux des touristes et visiteurs débarquant l’été. Il n’y avait que ça à se mettre sous la dent, les Bordelais étant déjà sur le Bassin. Et pourtant la mayonnaise prit. La seconde édition se raccrocha à des dates moins baroques (en mai) pour s’infiltrer avec beaucoup de souplesse dans le circuit des foires régionales en Europe. Pari malin et réussi. 

 

Le port de la Lune au-delà du château Trompette, 1758 par Joseph Vernet

       Peut-etre grâce à l’entregent d’Adrien de Rochebouet, alors conseiller artistique. On avait mis la dragée haute avec des galeries telles Christian Berst, A2Z avec Antony Phuong. DIX9 avec Hélène Lacharmoise. Paris B. avec Romain Degoul. Loft & co. Pas évident de retransformer tout cela au troisième coup ! C’est en faisant appel à des galeries venant du Midi, d’Occitanie, des Flandres et des Pays-Bas et de ceux encore plus bas mais très basques. Et bien d’autres régions, grâce à leurs propositions audacieuses. Jean-Daniel Compain, commissaire de la foire et Beam ont su embarquer le public. Ils ont investi l’intégralité du Hangar 14 avec vue sur « rivière » et sur le Port de la Lune. Même si au départ on crut s’engouffrer dans une mini Fiac-sur-Garonne avec des Viallat, Alechinsky, Messagier, Lindström, certes somptueux. Est-ce vraiment cela que la société actuelle made-in-Hurmic désire mettre dans son salon? Ou simplement investir?

 .

Shopper 1.32024 150 x 120 cm Verre dichroïque, impression pigmentaire et cadre en aluminium avec feuille d'or 22 carats La Patinoire Royale Bach, Bruxelles https://prvbgallery.com/fr/

It’s good to be the king in Bordeaux! It’s not bad to be a Devaux!

      Il fallait donc commencer la foire par un truc complètement piqué et c’est la Patinoire Royale Bach dirigée à Bruxelles par Valérie Bach qui s’y colla avec majesté, pureté, délire totalement épuré et sérénité accomplie, en présentant le regard d’un seul visage, le cercle d’une lune à la Saint Exupéry et le grammage de la toile dorée à l’or fin ! Mais qui est ce petit Prince ? ou Princesse ? Dans cette série « The Shoppers », l’artiste capte sur le vif les visages de clients de supermarchés au moment du règlement en caisse. De la dimension fantasmatique de ses premiers travaux au réalisme des derniers, de l’incarnation divine au corps réifié du consommateur, des identités symboliques aux individualités anonymes, Thomas Devaux opère ici un glissement aussi conceptuel qu’esthétique en se concentrant sur des icônes ordinaires, figures critiques malgré elles de la société de l’hyperconsommation. Florian Gaité.

 

         Pour comprendre Devaux, il faut tout simplement reprendre les mots de Michel Poivert, historien de la photographie. Le constat dressé par Gilles Lipovetsky et Jean Serroy dans L’Esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste (2013) peut servir de prélude à la découverte de l’œuvre de Thomas Devaux. “Nous consommons toujours plus de beauté mais notre vie n’en est pas plus belle”. Longtemps mise au service du politique ou du religieux. La voici, cette beauté née depuis la révolution industrielle, au service de l’économie. 

Le capitalisme aurait engendré une forme de création visant à désigner la moindre des marchandises, laissant au second plan sa valeur d’usage, créant ainsi une sorte de beauté ne promettant que sa consumation dans sa consommation. Quelles pratiques artistiques sont aujourd’hui susceptibles d’émettre une critique de ce “capitalisme artiste” ? Expression peut être malheureuse d’ailleurs, car il ne faut pas confondre : l’esthétisation du consumérisme est un fait culturel, non un fait d’art. C’est là que l’œuvre de Devaux traduit cette contradiction. L’art peut, sur le terrain esthétique, forger une critique capable de briser la malédiction d’une beauté passée du côté du mal. Pour le formuler autrement : comment exorciser cette beauté du mal qui la ronge 

La série Shoppers 

      La série Shoppers s’intègre dans une trilogie avec Rayons et Dichroics. Présentée sous le titre d’emprunt “Cet obscur objet du désir” (Luis Buñuel, 1977), il y a quelque chose d’opératique. Les formes et les dispositifs, les matériaux employés semblent construire le récit d’un immense aveuglement qui serait l’allégorie de notre passion déraisonnable pour la consommation. Ainsi Shoppers relève d’un travail de prise de vue à distance. Fixant tel une caméra de surveillance le geste d’échange du consommateur lors du paiement de ses achats. Ou bien déambulant sous le poids de ses sacs de courses. Dans des attitudes quasi zombifiées, le Shopper est traité visuellement comme une figure saignée à blanc, anonyme et pourtant singulière. Thomas Devaux tient particulièrement à souligner la dimension photographique de cette trilogie et de ses recherches en général. Que se joue-t-il ici de si “photographique” ?

 

 

Thomas Devaux Shopper 2.06, 2024 Verre dichroïque, impression pigmentaire, cadre en aluminium avec feuille d'or 22carat 40 x 30 Ed. 3/3, AP 1/2, AP 2/2

         C’est un combat éminemment contemporain, le plus important peut-être : identifier l’image comme état ultime de la marchandise et confier à la photographie la mission paradoxale de la conjurer. C’est précisément tout l’enjeu d’une esthétique de l’aveuglement. Reprenons les choses : les Shoppers sont des figures qui ressemblent à des “négatifs”, même s’ils sont bien en “positif”. Le travail de la lumière et du fond noir qui les décontextualisent. La diffusion des contours qui forme un halo. Tout concoure à suspendre l’effet de réel photographique par des moyens photographiques. Des fantômes donc, ceux que l’on ne voit pas et qui nous hantent, la manifestation visible d’une absence : un analogon, paradigme de la photographie selon Roland Barthes.

 

Cristiano Codeço de Amorin, installation, technique mixte, vidéo : très psyché

         BAD+ 2024 conjointement à L’EBABX, École supérieure des Beaux-arts de Bordeaux, a lancé un appel à candidatures pour le Prix BEAM/ EBABX. Fondé sous l’impulsion de Jean- Daniel Compain, co-fondateur du salon et de Marie Maertens, directrice artistique. Doté de 5 000€, le Prix s’adresse aux étudiants diplômés dans le courant des 6 dernières années en Art et en Design des Beaux-arts de Bordeaux

Les artistes sélectionnés étaient Camille Benbournane, Viktoria Oreshko, Jules Cartier et Cristiano Codeço de Amorim. Ainsi que pour les pièces des artistes «mentions spéciales» : Hugo Gomez, Benoît Barsacq, Jessica Guez. 

Le jury présidé par Benoît Maire, Marie Martens (BEAM), Nicolas Milhé, enseignant à l’école. Et Audry Liseron-Monfils, directeur de l’EBABX a nommé Cristiano Codeço de Amorim, lauréat du prix BEAM/ EBABX.

 

      1 311 891, est une installation qui laisse imaginer un monde post-apocalyptique. Cristiano Codeço De Amorim propose un regard vers le futur afin de mieux comprendre le présent. Au travers d’objets vus comme métaphores, il parle de l’intime, de sa famille et de sa culture portugaise, incarnant des clichés de vie. Le travail de vidéo met mis en scène « Un dîner presque portuguesh » devenant un vestige archéologique représentatif de notre monde façonné par la culture populaire présent dans une ère post-anthropocène.

@la__guesh

 

Un rayon cadet-minime-junior époustouflant

       Il y a des marchands qui vendent et il y a ceux qui réfléchissent. Mathieu Gard fait partie de ceux qui savent faire les deux, avec beaucoup de talent et d’esprit. De force aussi. Si la philosophie et l’étude des idées comblent un cerveau en ébullition permanente, régulière et calme, il est rafraîchissant de rencontrer une nouvelle génération solide. Ça fait un peu Prince Eric de Dalens, rien que d’en évoquer l’idée, mais c’est un fait. Porté par un regard construit, aiguisé, déployé à 360° sur le marché et sur la création artistique, Mathieu a créé la galerie l’Héritier. Le nom rendant hommage à sa grand-mère. Objectif : se prononcer et s’affirmer sur l’approche conceptuelle et figurative de la scène artistique française et européenne. Il porte un regard novateur sur les artistes qu’il défend, tant par la ligne artistique qui l’inspire que dans le format entrepreneurial qui le guide. Eclairé par une forme d’assurance débonnaire. Mathieu est habité par une volonté farouche de montrer des artistes qui l’infléchissent, tels ici au BAD Lukas Meir ou Denis Félix.

 

 

        Mathieu, galeriste récemment encore nomade est en train de frapper les amarres dans le quartier Bourgogne/Palais Bourbon. Il voue une véritable passion pour Denis Félix et il écrit : « Pourtant protéiformes, toutes ses séries sont fondamentalement unies par une unique intention. Reclus sous l’obscurité du voile noir et voyant le monde à travers une représentation fortement différente du champ visuel habituel, le photographe est libre de créer une nouvelle perception du réel

Si la chambre ralentit le temps, elle tient à distance le photographe de l’extérieur et, comme un rempart contre le réel tel qu’il se donne, elle offre la possibilité de construire un monde alternatif, résolument nouveau et seulement guidé, ou presque, par les intentions de l’artiste ». Mais n’a-t-on juste pas envie de se lover quelque part entre l’objectif et le cerveau de l’artiste ? Entre l’espace qui nous sépare de l’œuvre au mur pour profiter de cette perception ? De ce temps qui s’est arrêté, aussi coloré qu’il fusse ? Aussi duveteux qu’il demeure ?

 

Denis Felix, Hannibal 100 cm x130 cm Denis Félix, Vesper 80 cm x 60 cm Galerie l’Héritier, Paris https://www.galerielheritier.eu

La plus basque des Cariocas !

     C’eut été compliqué de ne pas passer par le soleil de Sao Paulo, socle de la galerie Sorgin. Mirian Badaro a créé cet espace au cœur de San Sebastian dans une maison au moellon du XVIIe. Elle représente la fine fleur du Design brésilien et met en lumière matériaux organiques et artisanat d’art précieux.

Mirian défend notamment Ines Schertel, designer brésilienne qui pour réaliser ses pièces, utilise de la laine naturelle provenant d’agneaux mérinos du sud du Brésil, feutrée à la main selon un procédé artisanal et ancestral, consistant à frotter les fibres à l’eau et au savon, parfaitement maîtrisé par la créatrice et amélioré au contact de tribus nomades Kirghizes qui a affuté son expertise. Quelle légèreté ! Ensuite ça se greffe au mur, au sol, devient soft-rug nénuphar. La création de l’utilisation est sans limite. Autre designer brésilien, Rodrigo Simao propose “Concha” ou Chaise ! Exposé au MUDAC. On a juste envie de s’assoir ou de se coucher debout et de rentrer en méditation. Ou en lévitation !

 

Ines Schertel Medusas, 2022, Rodrigo Simao “Concha” Chair, 2017, bois de peroba et d’Imbuia Sorgin gallery www.sorgingallery.com
Raymond Hains, Pour Vendre, 1988 Galerie Verart - Veronique Smagghe

Des vétérans au top !

    Véronique Smagghe présente un sublime Raymond Hains très conceptuel, qui de son vivant lui disait, alors qu’ils arpentaient Venise, bras dessus, bras dessous : « mon travail, c’est la peau des murs » ! Price on request ! Proposition doublée en écho à celle-ci, nouveaux réalistes obligent, par une affiche à l’envers de Dufrene de 1965. Il quittera le mouvement lettrisme dès 1953 pour créer ses dessous d’affiche. 8000€. Ainsi qu’un tout petit Villeglé vraiment sympa en dessous de 7 ! Punts de Barcelone présente Gerard Mas, le sculpteur de l’entre deux époques, Renaissance et aujourd’hui. Albâtre, bois, résine font résonner passé et présent dans le cœur de ses personnages mi Agnes Sorel-mi Cicciolina (en plus calme). Gothique, Dada, Quattrocento croisent des codes détournés sans vergogne. Un vrai plaisir. La précision des finitions est spectaculaire. Ongles et cheveux sont plus vraisemblables que n’importe quelle cire chez Madame Tussaud ou au Grévin. Elles font littéralement vibrer l’ensemble du corps. 

 

     Un peu comme si la laitière de Vermeer allait se mettre à marcher devant soi et pas seulement pour vendre une crème glacée ! Qui ne voudrait pas être petit poisson rouge et se laisser caresser au travers d’un sac plastique fermé et s’arrêter de respirer à tout jamais ? Quelle Gabrielle d’Estrée n’aurait jamais rêvé de se kiffer une bulle de malabar en plein bal princier à Fontainebleau ? On en a la menthe à la bouche.

 

@Gerard Mas Lady of the tatoo @Gerard Mas. Lady and the Goldfish @Gerard Mas, lady with bubble gum Punts Galeria, Barcelone https://www.3punts.com/

      Le BAD Bordeaux Art & Design est sur le point de devenir une vraie coulée de culture et d’aventure artistique de ce sillon de Guyenne et de Gascogne souvent apprécié pour d’autres plaisirs. Privilégiant la supériorité de l’esprit, de l’âme et du patrimoine (tout ce qui reste) sur l’être humain en général (tout ce qui disparait), j’aime le titre de cette œuvre de Jim Shaw : Montezuma’s Revenge, créée en 2007, Collection CAPC.

En 2003, Shaw et son épouse découvrent un stock de toiles usagées d’anciens décors de théâtre présentant l’iconographie d’une ville abandonnée du Far West. Le centre est percé  ; surgissent alors des motifs dorés qui colonisent une amibe géante; s’en échappe des arcs de cercle illustration d’un sphincter géant; arc compos13 images : glyphes mayas, plantes hallucinogènes, gourous millénaristes, charlatans, évangélistes et dont on ne mesure pas la perversité… On la retrouve ici au BAD+.

Alors à l’année prochaine avec un focus sur de nouveaux artistes, de nouvelles galeries aussi. On ne peut s’attacher à toutes. L’intérêt est d’y trouver une relation suffisamment charnelle avec certains acteurs de l’art, marchands, curateurs, artistes. Transmettre le corpus afin qu’une fois rentré dans les collections, privées ou institutionnelles, il ne puisse que ravir ceux qui auront le privilège de rentrer en collusion avec, corps et âme. Chaque jour. Oui, cogner son œil et son cœur à une œuvre de façon régulière est un vrai privilège.

 

 

De Philippe de Boucaud – Columnist

 

Tagged In:#Expositions,
Loading
svg