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Interview de Julio Le Parc, précurseur de l’art optique – Galeria Continua, Paris, jusqu’au 24 déc. 2024

15 décembre 202340 min read

Julio Le Parc - Aurora exhibition view, 2023, GALLERIA CONTINUA, Les Moulins. Photo: Hafid Lhachmi

Julio Le Parc est la quintessence même des artistes du XXe siècle qui ont tourné ce millénaire avec plus que brio. Il fait partie des plus grands artistes de la planète. Avec lui, qui ? Beuys, Tapiès, Kiefer, Freud, Weiwei ? Botticelli ?
Le Parc, personnage emblématique de l’histoire contemporaine de l’art ne souhaite se voir ranger dans aucun mouvement artistique ni aucune classification, pourtant il a révolutionné l’art cinétique et créé l’Op art. Galleria Continua lui consacre à travers une scénographie muséale son immense espace des Moulins (77). L'exposition "Aurora" rassemble une sélection de près de 70 œuvres représentatives d’une période longue de 60 ans. Mais partons à la rencontre du maître, alors qu'il nous reçoit lui-même dans son atelier. La réflexion et la technique de cet immense artiste, notamment d'après le concept et l'idée de surface se construisent au gré du temps d'abord en Argentine, puis en France. Nous allons parler Réalité virtuelle, 14 couleurs, Surface, Op art, et bien sûr du temps qui passe.

Par Philippe de Boucaud

VISITE D’ATELIER

(photo @lorenzo Fiaschi courtesy Galleria Continua)

C’est toujours intimidant d’être attendu chez un artiste de cette trempe. Et pourtant Julio Le Parc reçoit dans son atelier situé aux portes de Paris si gentiment. Une fois franchie la cour de l’immeuble pas récent, pas ancien, on se sent déjà en plein Buenos-Aires, ou plutôt dans l’un des conventillos qui font pléthore dans les quartiers bas de la ville du Bon-air. C’était pourtant mal parti cet air pur. Les familles patriciennes du début de siècle qui peuplaient le quartier de San Telmo s’étaient réfugiées à la Recoleta, tant la malaria faisait des ravages dans le district du port. L’immigration principalement italienne était à son paroxysme. Des familles entières avaient tenté de laisser famine et misère derrière elles pour trouver la rédemption en cette terre latino-cocagnesque. Elles s’emparèrent alors de ces petits couvents vides, au demeurant fort confortables à double et triple patio. Chaque pièce donnait sur la véranda intérieure, devenant l’abri, la retraite d’une famille entière souvent de sept à neuf enfants. Que barbaro! 

Cette cour de Cachan, c’est autant le bazar. Une fois les marches gravies vers l’atelier aux pièces multiples, l’ordre et la lumière prédominent. Tout y est méticuleusement organisé, avec le bureau trônant au centre et le maitre en blouse de travail et lunettes à double volet, en train de réfléchir, de calculer et d’exécuter La conversation s’engage en espagnol. Julio Le Parc est un artiste du monde et des mondes qui s’exprime dans toutes les langues. Commencer avec celle de Cervantès et poursuivre dans celle de Voltaire est une politesse. Mais c’est tellement plus simple et direct en castellano ! Nous nous mettons immédiatement dans le contexte, pour pénétrer le regard du jeune homme éternel enfouis dans ce corps à la résonnance séculaire déconcertante d’évidences légères et graciles. Nous voulons connaitre ce que l’artiste venu des contreforts de la Cordillère, a vécu lors de son arrivée à Paris. Nous voulons aller au cœur de cette merveilleuse rencontre avec les trois protagonistes fondateurs de la Galerie Continua, metteurs en scènes de cette exposition des Moulins.

PROSPERITE D’ENTRE-DEUX-GUERRES

Julio Le Parc voit le jour alors que l’Argentine se pare d’or olympique en boxe et de l’argent en foot, aux Jeux d’été d’Amsterdam (1928). Sur le plan politique, années de prospérité jusqu’en 1930 pour dix millions d’âmes peu menacées par la situation mondiale, on assiste à la fin de l’administration Alvear et au debut du second mandat d’Yrigoyen, grand perturbateur politique dira-t-on. Surement plus constitutionnel que celui d’Uriburu qui lui succèdera. C’est la fin de la vague d’immigration. Occasion idéale d’analyser cette époque. Quand on demande à Julio Le Parc de remonter le temps, il porte son regard immédiatement sur sa jeunesse et sur ce qui l’a construit.

JULIO EL MENDOZINO

Julio Le Parc est né dans une famille ouvrière. Son père était cheminot auprès des locomotives. Le dernier coup d’état militaire avait porté la Droite conservatrice au pouvoir.  Un détail est resté gravé. Les chauffeurs de camions qui apportaient le fuel nécessaire au fonctionnement des usines plantaient un petit drapeau rouge sur le capot avant, en guise de résistance. Ils avaient dû le retirer ! Pas bon le rouge devant un pouvoir conservateur… » La destinée de Julio Le Parc n’est pas encore dessinée et pourtant le jeune garçon rêve : « Quand j’étais petit, je songeais à chaque instant qui passait, à transformer le monde qui m’entourait. Avec mon petit frère, j’inventais tous les jours de nouveaux jeux avec une facilité déconcertante. Nous n’étions pas submergés par la société de consommation, c’est le moins que l’on puisse dire, avec un seul jouet une fois par an seulement. Alors j’en inventais. On fabriquait de tout : des petites voitures, des jeux de société, des cercles, des objets simples. On s’organisait. Nous réalisions des personnages articulés, grâce à un imaginaire déjà très fort. Nous étions heureux ! » L’abstraction et le réalisme se croisaient déjà.

LE DECLIC

Quelle est cette lumière, avant d’illuminer le monde, qui a embrasé la première fois Julio le Parc pour le transporter vers le monde de l’art ?  Ayant d’abord vécu sa jeunesse en famille à Mendoza, ses parents vinrent à se séparer. Sa mère partit à Buenos-Aires puis revint le chercher avec sa sœur quand il avait 15 ans. Il avait gardé le souvenir des cours de dessin du primaire et n’avait pas fait d’école secondaire. Pourtant sa mère qui passait devant l’Académie des Beaux-arts rentra de façon automatique, ce qui l’orienta vers une école préparatoire équivalente au Bachillera, le bac argentin. Devant des panneaux de bois, muni de planche à dessin et de fusains, Julio comprend immédiatement que c’est ce qu’il veut faire : créer.

ARRIVEE EN FRANCE

Le gouvernement français donnait des bourses à cette époque. Comme le fera plus tard à vau-l’eau, celui de François Mitterrand. Julio Le Parc était excité. « On voulait venir à Paris pour voir ce qui se passait. La création artistique, c’était Paris, pas New-York » ! Le Parc obtient cette bourse davantage grâce à l’esprit contestataire qui le nourrit que pour son aptitude technique et artistique… dira-t ’il. Les fonctionnaires de la rue de Valois de la pas-très progressiste jeune Ve République avaient décelé en lui ténacité et obstination. Les commis de Malraux eurent raison de poser leur dévolu sur ce précurseur de l’art optique et quelque part cinétique même si Le Parc ne se situe pas dans ce mouvement. Il ne se situe dans aucun d’ailleurs !

 

 

La Figuration narrative en a fait son terreau et les Fromanger, Arroyo, Rancillac n’en sont pas morts… Du moins pas à ce moment-là. De Gaulle, était-ce Péron ? Alors Julio, quand on compare la France de nos années 2020 au climat contestataire de 1968, quelle est votre appréciation ? « Davantage d’étrangers sans équivoque, mais aussi davantage de cas d’assimilation parfaitement réussis. Le droit aussi a évolué de façon fracassante. Ceux qui ne sont pas citoyens français ont acquis beaucoup plus de droit qu’auparavant. » répond-il. Plutôt réjouissant.

 

Mais pourquoi tant d’artistes latino-américains ont-ils franchi l’Atlantique Sud et Nord en paquebot très souvent ? Quel facteur produisit cet appel artistique, interculturel et inter social entre ces deux nations dites parfois sœurs ? La réponse est immédiate : la liberté. « Paris est tout simplement un lieu où on nous laisse libre ! » Le Parc a connu tant d’artistes vivant à New-York, enfermés dans un ghetto, avec pour seul choix : copier les artistes américains ! Plus tard, quand la France le chasse, Le Parc ne se sentira presque pas concerné. « C’est la France qui avait peur des changements post 68 qui n’a plus voulu de moi, la France que j’aimais ne m’a jamais chassé ». Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur de 1968 à 1974, incarnation du retour à l’ordre musclé mettra beaucoup d’énergie à combattre les groupes réactionnaires. 

 

MAIS GRAV !

@ Le Parc GRAV Morelet, Le Parc, Sobrino, Yvaral, Stein, Paris 1960

De retour en France, Julio Le Parc devient le moteur du Groupe de Recherche des Arts Visuels (GRAV) « le groupe des petits fils à Denise René » comme aimait le répéter Restany, autour des Morellet, Vasarely, Garcia Rossini, Stein.  L’aventure ne dure pas.  « Avec mon petit frère (celui des premiers pas vers la création), on faisait avancer les choses en travaillant ensemble et cela depuis l’université, que ce soit au creuset de groupes de travail, discussions et autres assemblées d’artistes. On y retrouvait bon nombre d’entre eux parmi lesquels Pucci de Rossi qui refusait le déterminant d’artiste politique, sociologue ou scientifique. « J’ai alors demandé à Vasarely s’il connaissait d’autres artistes qui partageaient les mêmes inquiétudes. C’est ainsi qu’il me présenta Morellet. Nous avons travaillé longtemps ensemble de 1960 à 68, puis ce fut la rupture. Bien sûr il y eut explication et réconciliation. Cependant je désirais vivre une confrontation loyale entre artiste sans compétition. Les propositions ne rentraient plus dans ce cadre. Chacun pris une position personnelle et le groupe fut dissout. »

RECONNAISSANCE

Julio Le Parc connait aujourd’hui une notoriété planétaire. Celle-ci s’est construite à partir du succès de la 35è Biennale de Venise en 1966 alors qu’il gagnait le Grand Prix International de peinture, deux ans seulement après avoir obtenu le Prix de Rauschenberg. S’en suivirent de nombreuses expositions à travers le monde dont celle de l’Institut Di Tella à Belgrano. Les institutions s’emparèrent de ses pièces révolutionnaires. La réputation fut immédiate : expositions en Italie, en Espagne…Et pourtant les collectionneurs privés furent-ils vraiment au rendez-vous ? la première œuvre que je vis du maitre chez un collectionneur privé en argentine, fut au domicile porteno de l’immense romancier Adolfo Bioy Casares, grand voyageur, polyglotte et dandy des livres. Il collabore à plusieurs reprises avec Borges. 

 

En 1994, alors que je réalisais une série d’entretiens après la publication de « Un campeon desparejo » (Un Champion fragile sorti chez Gallimard en 2014) et malgré le décès récent de son épouse, autre immense écrivain, Silvina Ocampo, Bioy Casares me soufflait à voix basse : « c’est dommage, il n’y a pas assez de Le Parc chez nous ». Était-ce « la onda » venue des milieux justicialistes revenus au pouvoir autour de Carlos Saul Menem qui faisait barrage au progressisme invétéré de Le Parc ?

 

A l’occasion de l’inauguration du Centre culturel Borges en présence de SM le roi d’Espagne, on se posera la question : Le Parc ou pas le Parc ? Amalita Fortabat, grande prêtresse des arts sur chacune des rives du rio de la Plata, potentat parmi les mécènes, ambassadeur plénipotentiaire, aura le fin mot de l’histoire : non. Pourtant l’administration Alfonsin et son impétueuse ministre de la Culture Teresa Anchorena avaient ouvert le terrain. Ce n’est pas la politique qui arrêtera la trajectoire du maitre.

@Ricardo Mosner 4 mai 2015 El Colectivo Maison de l’Argentine – Cité internationale
Julio Le Parc - Aurora exhibition view, 2023, GALLERIA CONTINUA, Les Moulins. Photo: Hafid Lhachmi

AURORA

Julio Le Parc - Aurora exhibition view, 2023, GALLERIA CONTINUA, Les Moulins. Photo: Hafid Lhachmi
Julio Le Parc - Aurora exhibition view, 2023, GALLERIA CONTINUA, Les Moulins. Photo: Hafid Lhachmi
Julio Le Parc - Aurora exhibition view, 2023, GALLERIA CONTINUA, Les Moulins. Photo: Hafid Lhachmi

Galleria Continua fait figure d’outsider parmi les grandes institutions du marché de l’art. Moitié épicerie d’art en ville, friche naturelle à la campagne (San Gimignano la maison mère est très loin de toute pollution… le plus souvent intellectuelle) et vitrine absolue de la création dans les foires internationales, implantée sur 5 continents, Continua perpétue le lien ineffable entre Orient et Occident. En Ile de France et à portée de main du Triangle d’Or et du Marais, il existe désormais ce lieu, idée de génie, en plein paysage voulu et conçu par Mario Cristiani, Lorenzon Fiaschi et Maurizio Rigillo, les Rolling Stones de la place de l’art. Coqueluche des brunch dominicaux, des bus sont affrétés et le public de collectionneurs et d’afficionados de l’art se rend sans encombre aux expositions. On y mange, on y danse. 

 

Au gré des nombreuses expositions, on y rencontre des artistes reconnus, parmi les lesquels ORLAN de passage, Ricardo Mosner, locomotive du mouvement Colectivo (le bus de Buenos-Aires). Pour celle de Le Parc, la direction artistique très relaxed mais très codée, si ce n’est un chouillat soixante-huitarde, a voulu un ensemble cohérent sur les grosses et ultimes pièces réalisées tout en faisant flotter les différentes périodes du maître de façon très débonnaire. Tout est parfait, cathédralesque et pourtant c’est comme à la maison. L’art de recevoir à l’italienne. Mais ce n’est pas une exposition comme les autres. Il s’agit ici d’une vraie rétrospective dans un lieu bucolique de qualité muséale qui poursuit l’exposition de l’espace parisien de l’été dernier. 

 

« Aurora » rassemble une sélection de près de soixante-dix œuvres représentatives du langage artistique singulier de l’artiste des années 1960 à aujourd’hui, comprises dans des formats et médiums différenciés : peintures en acrylique sur toile issues de séries emblématiques, modulations et contorsions en deux et trois dimensions en inox, bois ou métal, œuvres de la série Lumières historiques et récentes, ainsi qu’une installation monumentale de plus de cinq mètres de hauteur.  

Les questionnements de cette figure essentielle de l’histoire de l’art sont nombreux :  diversité des situations dans une même expérience, notions de mouvement, d’instabilité et de probabilité, prise en compte des contingences extérieures à l’œuvre, dans une prise de distance caractéristique de son travail avec la notion d’œuvre stable, unique et définitive. 

 

Représentative des expérimentations de l’artiste autour d’éléments mobiles, l’installation monumentale Zepelin de acero (2021), présentée pour la première fois à la fondation Hermès de Tokyo, réinterprète l’utilisation des boîtes de lumière caractéristiques des recherches de l’artiste autour du médium de l’installation, cette fois occultées par l’acier qui les composent. L’artiste questionne au-delà de ces dispositifs une série de problématiques : la diversité des situations dans une même expérience, les notions de mouvement, d’instabilité et de probabilité, la prise en compte des contingences extérieures à l’œuvre, dans une prise de distance caractéristique de son travail avec la notion d’œuvre stable, unique et définitive. 

 
©Hafid Lhachmi Courtesy: the artist and GALLERIA CONTINUA

MODULATIONS

On passe au premier étage comme si on posait le pied sur l’escalier à double révolution du Palais Garnier. Avec la même religiosité et la même gourmandise.La sélection intitulée Modulations en deux ou trois dimensions et en reliefs toutes élaborées en nuances de noirs et de blancs, couvre la période 1965/ 2019. Ces Modulations font partie d’un ensemble d’expérimentations poursuivies surtout depuis 1974 et dont la thématique trouve son origine dans les derniers éléments traités avec la gamme de ces quatorze couleurs, ainsi que dans les recherches sur les volumes réels entreprises par l’artiste depuis 1960. 

 

La technique utilisée (pinceau d’air, peinture au pistolet) obtient un dégradé du foncé au clair et une modulation précise de la surface, le conduisant à développer des thèmes nouveaux et à explorer un domaine de recherche inédit. Dans la poursuite des expériences de l’artiste sur le plan, ces œuvres continuent à se fonder sur des systèmes simples d’organisation, la corrélation des formes dépendant d’un même principe dans chaque cas. Le Parc souhaite ainsi remettre en jeu ses certitudes, sans cesser de soumettre ses découvertes à la réflexion et à l’analyse.

Les contorsions présentées (Torsion 1 à 4 datant de 2004, Formes en contorsion de 2019) démontrent la mise en jeu du hasard, la mise en jeu de la lumière et la surprise du mouvement. Ce mouvement emblématique insufflé à la forme a pour origine certains ensembles issus de la série des Mouvements surprise. Le procédé utilise des rubans flexibles en acier miroité formant des cercles placés sur un fond noir, devant lequel ils se déforment lentement grâce à une action mécanique coordonnée par des moteurs de vitesse différente. 

Une chambre noire présente une sélection d’œuvres lumineuses rarement montrées ensemble. Initiées fin 1959, les expériences de Le Parc autour de la lumière diffusent des rayons lumineux dans de petites boîtes dont le but est de reproduire, multiplier et combiner, au moyen d’écrans composés avec des plaques de plexiglas en forme de prismes, des carrés et des cercles utilisant la gamme de ces quatorze couleurs.

©Hafid Lhachmi Courtesy: the artist and GALLERIA CONTINUA

SURFACE

Julio Le Parc, A partir de LM, 2019. Diptych, acrylic on canvas, 200 x 400 cm. Courtesy: the artist and GALLERIA CONTINUA
Julio Le Parc, Série 15 n°5, 1972-2021. Acrylic on canvas, 200 x 200 cm. Courtesy: the artist and GALLERIA CONTINUA

«J’ai toujours fait des recherches sur les petites surfaces. Alors que je partageais une chambre d’hôtel avec Francisco Sobrino, nous n’avions que très peu de moyens et possédions seulement une petite table. Nous réussissions pourtant à acheter du papier, des crayons, des cartons, ainsi pouvions nous toujours au moins croquer et nous projeter.

 

C’est alors que ce papier, ce carton devenaient surface. La question de la surface a toujours été présente dans nos esquisses et dans les projets qui s’ouvraient à nous. J’ai toujours eu besoin de ces petits papiers pour dessiner. Si je veux imaginer une installation, je commence toujours par la surface. » 

 

Le parcours s’ouvre au rez-de chaussée avec un accrochage de peintures sur toile en couleurs, rendant hommage à la beauté et la complexité des systèmes mis en œuvre par Julio Le Parc autour de la notion de surface, avec notamment des pièces issues de la Série 15, démarrée au début de la décennie 1970. 

 

Julio Le Parc étend ses recherches à la couleur dès 1959. L’artiste élimine non seulement toute trace de réalisation manuelle, de « coup de pinceau » mais aussi toute composition subjective. Le Parc est véritablement le technicien de surface le plus ingénieux de nos deux siècles traversants.

REALITE VIRTUELLE

C’est son fils Juan le Parc, également artiste plasticien qui a intégré le casque et la technologie dans l’exposition. Juan agrandi, transforme et sort de la surface. Les expérimentations techniques sont de plus en plus fréquentes et le public s’autorise des expériences inédites. L’effet surprise forge une relation et crée une intimité entre le public et l’œuvre grâce à un kaléidoscope de formes et couleurs. Le public quitte sa simple condition de spectateur pour aller plus loin ; il s’approprie l’œuvre le temps d’un instant, alors que le collectionneur, grâce à son argent l’emporte chez lui. 

 

Mais au-delà de l’expérience, cette technologie appliquée à l’œuvre et au travail de l’artiste ne devient-elle pas son bras télescopique ? Voir le télescope de sa propre optique, démultiplié à chaque regard par celle du public ? Pour Le Parc, le cerveau doit être stimulé en permanence. La première expérience ne date pas d’hier ! 1963. Le public avait déjà pour mission de dépasser sa condition de spectateur. Finalement, devenu processus permanent d’investigation, qu’est-ce qui interroge davantage l’artiste : l’œuvre d’art finalisée ou le mouvement de rétine du visiteur ? 

 

Virtual Labyrinthus Museum conçu avec Juan Le Parc, grâce à des outils de programmation dérivés du jeu vidéo, complète l’exposition dans un dispositif de réalité virtuelle. Le projet propose une visite interactive dans un espace muséal tout autant virtuel composé de cinq niveaux, correspondant aux cinq périodes picturales de Julio Le Parc : Surfaces, Surface – couleur, Modulation 1, Modulation 2 et Alchimie.

©Hafid Lhachmi Courtesy: the artist and GALLERIA CONTINUA
Julio Le Parc - Aurora exhibition view, 2023, GALLERIA CONTINUA, Les Moulins. Photo: Hafid Lhachmi

14 COULEURS

Julio Le Parc, Croisements, 1970-2018. Acrylic on canvas, 200 x 200 cm. Photo: Studio Julio Le Parc. Courtesy: the artist and GALLERIA CONTINUA

Après une recherche sur le noir et blanc dans les années 1959 et 60, Le Parc passe à l’étude des chromatiques. Perpétuellement dans l’expérimentation, il devient chercheur de son propre art. «Ce serait ennuyeux si je devenais un artiste mono thématique » aime-t-il à dire. Créer est complètement dans sa nature. « La création se fait l’écho du monde qui tourne autour de moi. Ce monde avance, se transforme, se redresse. Il est en lutte, il n’est surtout pas fixe une fois pour toute. Imaginez-vous 50 ans de variation de tableaux… Ce serait assommant ! »

 

Le Parc choisit quatorze couleurs qui lui semblent résumer toutes les variations possibles de mélanges chromatiques et les utilise pures et non graduées, ni par le noir ni par le blanc. À partir de cette gamme, il opère des combinaisons complexes, nées de systèmes à la fois rigoureux et simples : partant d’une ou deux gammes en déplacement horizontal, l’artiste y superpose quatre gammes développées verticalement, horizontalement ou en diagonale, puis parfois quatre gammes nouvelles encore.   

L’artiste cherche à appréhender le potentiel de variations chromatiques ainsi induites et à les manifester dans un seul champ visuel. Ancrées dans le mouvement, ces expérimentations s’inscrivent dans le principe cher à l’artiste d’éloignement par rapport à une œuvre fixe, stable et définitive. Le spectateur se trouve subjugué par le développement d’une multitude de changements, le support uniforme des éléments ou des formes accentuant l’instabilité mise en évidence.

 

Ces œuvres sont caractérisées par leur structure et en même temps par leur absence de toute composition.L’artiste cherche à appréhender le potentiel de variations chromatiques ainsi induites et à les manifester dans un seul champ visuel. Ancrées dans le mouvement, ces expérimentations s’inscrivent dans le principe cher à l’artiste d’éloignement par rapport à une œuvre fixe, stable et définitive. Le spectateur se trouve subjugué par le développement d’une multitude de changements, le support uniforme des éléments ou des formes accentuant l’instabilité mise en évidence. Ces œuvres sont caractérisées par leur structure et en même temps par leur absence de toute composition.

Julio Le Parc, La longue marche, 1974. Acrylic on canvas, 10 paintings of 200 x 200 cm each. Installation at ART Unlimited. Basel, 2017 © Julio Le Parc

OP ART

Désillusion totale car si on veut une définition de l’art cinétique et de l’Op art, voir son appropriation, ce n’est pas chez Julio le Parc qu’on va la trouver ! Il ne s’est jamais pensé comme artiste cinétique et encore moins acteur de l’Op art. Ces classifications sont orchestrées par commodité selon lui. « On voudrait absolument classifier, déterminer les gens, les artistes, les actions parce qu’un moteur, des formes géométriques seraient utilisés ? Les critiques et les historiens de l’art segmentent les artistes, prénomment les courants par facilité. La création d’une petite machine à filmer toute simple prend le nom d’art vidéo alors que l’on fait toutes sortes de choses sibyllines qui s’intitulent abstraction, figuration, dénonciation…. Pourquoi classifier une œuvre, un travail par une technique ?  Une apparence ? 

Philippe de Boucaud

LE TEMPS QUI PASSE

Julio Le Parc est un jeune homme qui a déjà couru le siècle. Ses enfants avec lesquels il collabore ont une chance inouïe de l’avoir auprès d’eux. C’est un vrai cadeau de garder ses parents le plus tard possible. Ils poursuivent leur éducation, les échanges mutuels se font de plus en plus captivant. Quand vient la mort, l’enfant devient ce qu’il a de plus triste en lui : orphelin. C’est à ce moment qu’il devient un adulte, qu’il cesse d’être un enfant. Et là c’est le grand saut. L’inconnu. 

 

Aujourd’hui, c’est le monde entier qui a la chance d’observer le retable multicolore infini de cet artiste vivant,   doté d’une telle expérience. Devant l’immense attention que lui porte le public on ne peut que s’inquiéter de l’impact posé sur sa personne. Le Parc répond très posément : « On a l’impression d’être minuscule dans ce monde contemporain ; en même temps on assimile, on incorpore l’incidence que l’on peut avoir sur le monde. On essai seulement de faire des choses. Moi, je réalise ce qui sort de mon crayon, de mon papier, de mes idées. Je créé ce qui sort de la confrontation. Bien sûr, on peut ressentir l’action de la puissance qui transforme la société ou qui aide à la transformer, sans drame, sans rupture. On n’en reste pas moins tout petit. S’il y a plus tard valorisation, ça m’échappe totalement, cela ne m’appartient plus ». On reconnait dès lors, le rôle absolument nécessaire de l’artiste dans la société, grâce à son humilité, son esseulement aussi. Ce « on », illustration même d’une grande pudeur.

FIN SANS APOCALYPSE

Quand-est ce qu’une œuvre est terminée pour Julio Le Parc ? « Lorsque le public rentre », répond-il. Dedans ? en scène ?  C’est alors que l’artiste a l’intense besoin de provoquer une émotion. Le public se connecte à l’expérience. Il la transforme. Il ne rentre pas en discussion avec l’œuvre par loi esthétique. Souvenons-nous de cet espace de jeu créé au Palais de Tokyo en 2013. 

 

Le public jouait comme des enfants, littéralement halluciné par ces couleurs et ces formes finalement ultra familières. Grâce à la mobilité et la fluorescence de ces œuvres singulières, la connexion avec le public fut automatique. Fondamentale pour l’artiste. 

 

Mais que Julio Le Parc n’a-t-il point encore montré ou voudrait-il encore voir figurer ? A cela le maître répond candidement : « J’ai encore tellement de croquis à exposer et autant de nouvelles technologies à affronter et à conquérir ! » Le Parc reste cependant suspendu de bonheur grâce aux rencontres et expériences permanentes qui renouvellent sans cesse la face du monde, de son monde. Du notre ? 

©Hafid Lhachmi Courtesy: the artist and GALLERIA CONTINUA

JULIO LE PARC

‘AURORA’

GALLERIA CONTINUA PARIS

Directeur artistique/ Yamil le Parc

Directeur d’atelier et d’équipe/ Eduardo Berrelleza

LES MOULINS/ BOISSY-LE-CHATEL (77) 

                                                 

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