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Charlotte Adigéry & Bolis Pupul – La Gaîté Lyrique, Paris, 29 nov. 2023

11 octobre 20239 min read

Après un Trabendo plein à craquer en avril 2022 et une tournée des meilleurs festivals (Pitchfork, Nuits sonores, We Love Green, Marsatac, Sonar…), Charlotte Adigéry et Bolis Pupul sont de retour à Paris, le 29 novembre 2023 à la Gaîté Lyrique pour un concert déjà complet ! 

Photo 4 (lead)

L’appropriation culturelle. La misogynie et le racisme. La vanité des réseaux sociaux. Le post-colonialisme et le politiquement correct. Autant de sujets de conversation rarement abordés sur les dancefloors. Charlotte Adigéry et Bolis Pupul n’hésitent pourtant pas à sortir des clous dans Topical Dancer. Un premier album dans lequel le duo de Gand, qui s’est fait connaître avec Zandoli EP paru en 2019 sur Deewee, le label de Soulwax, aime à raconter des histoires rarement évoquées sur la scène électronique : ils prennent la température ambiante et la retranscrivent dans de ludiques concoctions au synthétiseur – jamais didactiques et toujours avec un petit clin d’œil.

Lorsque les frères Dewaele (Soulwax) les avaient réunis pour la toute première fois en 2016 dans les studios de Deewee pour créer un morceau de Belgica (bande originale de fiction réunissant 15 groupes imaginaires), la rencontre de Charlotte et Bolis préfigurait déjà cet univers plein d’ironie et de lucidité sur le racisme ordinaire, et toujours en décalage des codes des genres musicaux — ni pop, ni electro, ni R&B, ni Techno, ni Acid, et en même temps tout ça à la fois.

Topical Dancer, sorti en mars 2022 – le premier en tant que duo sous leurs deux noms et qui est co-produit par Soulwax – est à la fois un kaléidoscope électro-pop parfaitement réussi et “un aperçu de comment nous percevons la culture populaire des années 2020.” Cet opus saisit l’essence de la collaboration musicale entre Charlotte et Bolis et reflète les conversations qu’ils ont eu au cours de ces dernières années en tournée, tout en dévoilant leur point de vue en tant que Belges issus de l’immigration, Charlotte ayant des origines guadeloupéennes et franco-martiniquaises tandis que Bolis est d’origine chinoise. 

L’album foisonne d’idées – parmi les 14 titres de l’album, pas un seul ne semble conçu juste pour boucher des trous. Mais surtout cet opus est animé d’une certaine fébrilité, d’un souci permanent d’éviter d’entrer dans une case quelconque et d’échapper à toutes les catégories étriquées dans lesquelles on voudrait les classer. Une notion qui est parfaitement résumée dans le refrain de leur deuxième single, ‘Blenda’ :“Don’t sound like what I look like / Don’t looklike what I sound like.” (Ma musique ne me ressemble pas, je ne ressemble pas à ma musique). Et Bolis d’ajouter: “De même, les gens me considèrent toujours comme le producteur et Charlotte comme la chanteuse. Ou encore, en tant que noir on est censé faire de la musique ‘urbaine’. Autant de cases dans lesquelles nous ne voulons pas être classés. »

D’une certaine manière, le titre ‘Esperanto’ qui ouvre l’album annonce la couleur d’emblée en jouant habilement entre ironie et dure réalité des choses. “Don’t say ‘But where are you really from?’ / Say ‘I don’t see colour…Don’t say ‘nice pair’ / Say ‘I love the symmetry of you’ (ne dis pas ‘mais d’où viens-tu en fait’?/Dis plutôt que tu ne vois pas la couleur…Ne dis pas ‘Jolie paire de nichons’ mais plutôt ‘j’aime bien cette symétrie chez toi, ”balance en blaguant Charlotte sur un motif sirupeux. “L’humour nous rassemble,” ajoute-t ’elle. “C’est important de rire de soi et avec les autres. C’est aussi un mécanisme de défense qui permet d’éviter de devenir amer ou de rester dans la colère. »

Charlotte Adigéry – lead (colour)

‘Blenda’ en particulier explique dans quelles mesures “je suis un produit du colonialisme,” déclare Charlotte, “et je me sens coupable de prendre de la place dans un pays blanc.” La chanson s’inspire en partie d’un livre de Reni Eddo-Lodge, traduit en français sous le titre Le racisme est un problème de blancs. “Ce livre évoque le passé colonial et le présent post-colonial du Royaume-Uni,” poursuit Charlotte, “mais il ne s’agit pas uniquement d’un problème britannique ou américain, La Belgique y participe également.” Et d’ajouter que son pays a aussi oublié des pans entiers de son histoire” ce qui “entraine une ignorance générale et un manque de compréhension et d’empathie envers les Belges issus de l’immigration.”

Si ces sujets qui n’ont rien d’anodins, les compositions de Charlotte et Bolis ne se prennent pas pour autant au sérieux, un aspect fondamental de leur collaboration. Pour preuve cette chanson sur la prononciation française de Will Smith (‘Huille Smisse’) qui fait preuve d’un certain sens de l’auto-dérision ou encore ‘It Hit Me’, un titre percutant sur la prise de conscience de son propre pouvoir de séduction qui détaille les premiers émois adolescents de Charlotte et Bolis sur un beat techno-indus qui claque délicieusement bien.

Bolis Pupul – lead (colour)

Au-delà de sa portée thématique, Topical Dancer illustre bien la spécificité du son de Charlotte et Bolis : profond et efficace à la fois. Ils ont l’art et la manière de revisiter certains genres pourtant familiers avec toujours un petit côté décalé ; des chansons qui ne semblent pas achevées ou un peu bancales, mais qui font un carton en club. “On aime bien brouiller un peu les pistes,” déclare Bolis en riant. “Si jamais on a l’impression de faire quelque chose qui existe déjà, on change de cap aussitôt, nous sommes en permanence à la recherche de ce petit quelque chose qui fait que ça ne sonne pas vraiment comme de la pop ou du R&B, ni comme de la techno. Nous mélangeons constamment différents univers. Lorsque c’est trop prévisible, Charlotte et moi on s’ennuie.” Une chanson dans l’album traite d’ailleurs précisément de ce point, ‘Ceci N’est Pas Un Cliché’, dans laquelle Charlotte débite des phrases éculées de chansons pop comme “I throw my hands up in the air” ou “I’m down onmy knees begging you please”.

Topical Dancer n’est cependant pas un album qui cherche à pointer du doigt, ni à être dogmatique sur les sujets abordés, mais plutôt à parler émancipation par le biais de l’humour. “Je ne veux pas sentir tout ce poids sur mes épaules,” poursuit Charlotte. “Il n’est pas question pour moi de porter ces croix. Topical Dancer est une façon pour moi de me libérer de ces sujets. Et de m’amuser.”

Par Mathéo Iachvili, de la Team Lucydelic

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