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Nicolas Pintea, « Le Vortex des vortex », Interview exclusive

29 mars 202417 min read

Échange avec l’auteur et metteur en scène Nicolas Pintea pour la sortie de son second livre. Un poème alchimique et psychédélique publié aux éditions du Palio.

JE : Bonjour Nicolas, je me souviens de ta pièce de théâtre Nectar que tu avais mise en scène à la Bellevilloise, puis de ton exposition Hydrations cosmopsychiques à la galerie Le 102 où des artistes avaient transformé certains de tes poèmes en oeuvres visuelles. Tu viens de sortir un nouveau livre qui s’appelle Le Vortex des vortex, est-ce que tu pourrais nous en dire plus ?

 

NP :  Bonjour Jaïs ! Ce n’est vraiment pas facile pour moi de parler de ce texte car c’est un exercice de recul qui m’oblige à le considérer de l’extérieur. Le moi qui essaie aujourd’hui de l’appréhender comme un objet n’est pas identique au moi qui l’a vécu comme une expérience lorsque je l’écrivais, qui diffère lui aussi du moi qui tente de se représenter ce moi écrivant passé. Ces différentes positions vont sans doute tenter de s’exprimer successivement sans que je puisse clairement les délimiter, et elles vont peut-être se contredire.

JE : Ne t’en fais pas, je sais que ce n’est pas toujours simple de décrire son travail. Comment est-ce que tu présenterais ton texte ?

 

NP : Si je devais le présenter, je dirais que c’est à la fois un long poème, un conte alchimique et une expérience psychédélique. Au début c’était juste un poème de quatre pages. Mais très vite après l’avoir écrit, dès le lendemain je crois, j’ai eu envie de le prolonger. Et cela s’est répété ainsi jusqu’à ce que je comprenne que ce poème racontait une histoire, même si je ne savais pas précisément laquelle. Alors j’ai continué à prolonger ce poème sans vraiment savoir où il allait me mener, et le résultat est ce livre.

DR : Il n’y a pas de structure de base ? Tu n’as pas déterminé une structure d’écriture en te disant « Tiens, c’est ce que je vais faire, c’est ce que j’ai envie de faire. » ? C’est le texte qui lui-même s’est mis à naître de ces pensées ?

 

NP : Oui, c’est bien ça. Et maintenant que je vous en parle, il m’apparaît que, au fond, je savais plus ou moins où je devais aller. Comme si, à la fois sans m’en rendre compte et en m’en rendant compte, je suivais un fil conducteur où j’entrevoyais du sens.

DR : La mise en page est bien particulière aussi, tu pourrais nous en parler ?

 

NP : Au cours du processus d’écriture, le fond et la forme ont fait l’objet d’une expérimentation permanente. D’ailleurs, dans ce texte il m’est difficile de séparer les deux, ils sont souvent indissociables et à chaque fois qu’ils commencent à se stabiliser au sein d’un modèle ou d’une dynamique, ce modèle ou cette dynamique se décomposent pour laisser place à autre chose. Cela se traduit notamment par une recherche graphique à travers laquelle j’ai tenté d’exploiter tous les moyens d’expression me permettant de communiquer quelque chose, qu’il s’agisse de sons ne composant pas nécessairement des mots, de dessins formés par les signes ou même des espaces.

DR : Qu’est ce qui t’a poussé à faire des dessins avec les mots ?

 

NP : Je ne sais pas, les dessins sont nés de manière spontanée, organiquement. Et ce qui m’a surpris, c’est que malgré tout je comprenais peu à peu leur sens de façon rétrospective.

 

JE : Moi j’ai une question par rapport au mouvement lettriste d’Isidore Isou, est-ce que c’est quelque chose qui t’a influencé ? Parce qu’ils aiment bien jouer avec les mots et les formes. Je pensais à ça, et forcément il y a d’autres courants qui ont utilisé les lettres pour recréer. En fait c’est beaucoup plus qu’un poème du coup. C’est un format…

 

NP : Je connais son travail et forcément comme tout ce qui m’a nourri cela a pu avoir une influence sur mon texte, mais en ce qui concerne ces dessins il n’y a pas de référence directe.

JE : Est-ce que tu as déjà vu quelque chose de similaire ? Est-ce que tu t’es inspiré de quelque chose ?

 

NP : Si je considère l’aspect strictement graphique de mon texte, pas directement même si je pense qu’en ce moment dans la poésie il y a énormément d’expérimentation, et donc beaucoup d’auteurs et d’autrices qui explorent différents moyens de communiquer du sens. En revanche, en ce qui concerne le contenu du texte, oui je me suis par exemple beaucoup inspiré de textes sacrés occidentaux et orientaux, d’ouvrages philosophiques en particulier, de traités ésotériques ou bien de créations poétiques qui m’ont marqué. Cette inspiration a souvent été volontaire, et j’ai disséminé dans le texte un certain nombre de références plus ou moins explicites à ces sources d’inspiration, et parfois je pense qu’elle ne l’a pas été.

DR : Et sans spoiler la fin, donc le Vortex des vortex ? 

 

NP : Le Vortex des Vortex ?

 

DR : Quézaco ?

 

NP : C’est une vision que j’ai eue…

 

JE : Ah, et tu peux nous en parler ?

 

NP : D’accord. J’ai eu une expérience avec l’ayahuasca…

 

DR : (Rires) Ah bah voilà, un lien logique !

 

JE : (Rires) On comprend mieux le Vortex !

 

NP : (Rires) Alors en fait, je suis d’origine colombienne par ma mère, j’ai des origines amérindiennes et une partie de ma famille est très intéressée par les pratiques chamaniques. Et donc quand j’avais 21 ans, il y a une dizaine d’années, j’ai participé pour la première fois à une cérémonie d’ayahuasca avec un cousin et une cousine dans un lieu où ma tante nous avait emmenés.

On nous a réunis dans une maloca, c’était une maison en bois circulaire avec un feu au centre et des peintures mythologiques sur les murs. Avant cela, on avait respecté une certaine diète pendant plusieurs jours.

 

Quand j’ai bu la boisson, j’ai commencé à me sentir très mal assez rapidement. J’avais la nausée, je me sentais fébrile, j’avais la vue qui se troublait. J’étais très mal à l’aise dans mon corps, c’était très désagréable. Et ce malaise a augmenté jusqu’au moment où normalement on est censé aller vomir. Donc je sors de la maloca et je vomis dans les hautes herbes. Et pendant que je suis en train de vomir, les hautes herbes se transforment en petites fées vertes qui tendent la main vers moi et qui essayent de m’attirer dans une sorte de tunnel que je sentais s’ouvrir.

 

Et je ne sais pas, j’ai une sorte d’intuition, je me dis que ce n’est pas une bonne idée, donc j’essaie de me relever. Et en fait, ça a été un combat pour chaque centimètre, une vraie lutte. Je crois que j’ai mis 10 ou 15 minutes à me relever. Et à ce moment-là, je me suis dit : « Je suis tout seul dehors, je ne suis pas sous la supervision directe du chamane qui est à l’intérieur. Il faut que je retourne à l’intérieur pour être dans un espace protégé. » Et pile au moment où j’ai cette pensée, des toiles d’araignées descendent du ciel et commencent à envelopper mes bras comme pour m’éloigner de la maloca. Ça a ensuite été très difficile de marcher jusqu’à cette maloca mais dès j’en ai franchi le seuil, les toiles d’araignées se sont désagrégées. Alors je suis allé m’asseoir près du feu, rejoindre mon cousin et ma cousine qui m’attendaient et qui m’ont dit : « Mais ça fait super longtemps que tu es dehors, qu’est-ce que tu fais ? Tout le monde a fini de vomir déjà. » Je leur ai répondu qu’effectivement, j’avais eu des difficultés.

 

Je m’assieds à côté de mon cousin et je regarde le feu, et là le feu commence à me parler. C’est difficile à décrire le feu qui parle parce que, en réalité, le feu parle tout le temps. Mais le fait d’avoir pris la plante, c’était comme si cela m’avait apporté la clef qu’il me manquait en temps normal pour comprendre son langage. D’un seul coup ce langage avait du sens pour moi, et c’était très beau ce que disait le feu. Là je commençais à apprécier l’expérience parce que je ne ressentais plus du tout d’inconfort. Et progressivement j’entendais les personnes dans la cérémonie qui se mettaient à chanter. En latin, en sanskrit… Il y avait des langues différentes qui me traversaient. Et progressivement les frontières de mon identité sont devenues de plus en plus poreuses. Je commençais à ressentir des choses qui se passaient chez d’autres personnes.

Au bout d’un moment, j’ai eu le sentiment de pouvoir me fondre dans le groupe. Il y avait une fille qui avait une expérience très dure. C’était vraiment intimidant parce que c’était la première fois que je le faisais, alors j’avais peur que cela m’arrive aussi. Je le ressentais très fort, elle hurlait. Je pense que ça peut aussi être un voyage traumatisant parfois. Enfin, il peut y avoir des expériences très violentes. Mais comme j’étais avec ma famille, je me sentais quand même protégé. Il y avait quelque chose de très chaleureux qui se dégageait. Et peu à peu j’ai commencé à sentir mon identité se dissoudre. Au bout d’un moment je ne savais même plus que j’étais un être humain, que j’avais pris quelque chose ou que j’avais un prénom.

 

J’ai expérimenté quelque chose que Jan a décrit dans sa BD : c’est ce qu’il appelle le scanner. Ça m’a beaucoup parlé comme expression parce que j’avais vraiment l’impression que mon corps était passé au scanner et que des choses bougeaient à l’intérieur de moi, comme si la plante essayait de les remettre en place. Et au fur et à mesure qu’elle faisait ça, j’avais des constellations de souvenirs qui me venaient à la conscience. Et c’est comme si plusieurs souvenirs avaient exactement le même sens, d’un coup je les comprenais mais ensemble, comme plusieurs moments de ma vie qui étaient connectés. Alors j’ai eu des vagues de compréhension de plus en plus fortes, et au bout d’un moment, quand je suis arrivé à la fin de ces vagues de compréhension, mon identité s’est complètement dissoute ou ouverte. Et je me suis identifié à l’univers, je n’étais plus moi, comme si la partie de l’univers qu’il y a en moi était l’objet de ma conscience à ce moment-là.

C’est une expérience extrêmement difficile à décrire, mais qui est une succession de vagues d’amour et de bonheur. Et à chaque fois que j’avais l’impression de ressentir le bonheur maximal que je pouvais atteindre, l’instant d’après j’étais encore plus heureux. Et donc je ressentais encore plus d’amour. Et c’était vraiment… Ça me semblait infini, c’était merveilleux. C’était comme naître.

 

DR : Et ce tunnel où tu n’es pas allé, là, tu ne te poses pas la question de savoir ce qu’il y avait dedans ?

 

NP : Je ne sais pas trop. Je crois que ça a quelque chose à voir avec des énergies telluriques, peut-être liées à la mort. La contrepartie obscure de ce qui m’attendait. Mais je ne pourrais pas le dire puisque je ne suis pas entré dans ce tunnel.

 

DR : Et tu penses que ça t’a aidé ou poussé à écrire le Vortex des vortex ?

 

NP : Disons que ça m’a beaucoup marqué, cet événement m’a beaucoup marqué. Ce texte, finalement, c’est aussi un tissu de visions et d’expériences que j’ai eues. Alors, ce n’est pas la seule. Mais je pense que si je devais rattacher l’expression « le vortex des vortex » à une expérience, c’est peut-être à celle-là.

 

JE : Merci Nicolas ! Je rappelle que ton livre est déjà sorti et qu’il est disponible en librairie, sur les plateformes et à commander sur le Psychedelic shop ci-dessous.

Pour entendre Nicolas Pintea de vive voix avec son interview exclusive à Lucydelic : Podcast intégral.

 

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