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Quand le LSD se transforme en art !

15 novembre 202312 min read

A l’occasion de Psychédélices, une des plus grandes expositions au monde sur les buvards à Paris, nous vous présentons cette forme d’art inédit. Venez découvrir ces buvards tous aussi fascinants les uns que les autres !

Les buvards artistiques sont des feuilles de papier à LSD qui ont été imprimées par des artistes psychédéliques. Contrairement aux buvards prédécoupés traditionnels, ils n’ont jamais été imbibés de LSD et sont collectionnés uniquement pour leur valeur artistique. La création de blotters est une forme d’art underground qui permet la création de visuels créatifs et étonnants. Aujourd’hui ces œuvres ont le vent en poupe, de nouvelles pièces sont créées et les buvards les plus recherchés se vendent aux enchères. 

Le LSD est un psychotrope qui induit un état modifié de la conscience et une perte des frontières de l’ego. Après sa découverte le 16 avril 1943 par Albert Hofmann, le LSD circule librement aux Etats-Unis et devient dans les années 1950 et 1960 synonyme de culture hippie et beatnik. En ce temps où il était légal, le LSD était diffusé sous différentes formes : liquide, pilules surnommées « tonneaux » du fait de leur forme, capsules, ou bien était parfois imbibé dans un morceau de sucre, ce qui les teintait de rose. Les craintes sanitaires ainsi que la contestation politique associée à ces mouvements conduisent la Californie à l’interdire le 6 octobre 1966. Bientôt tous les autres pays occidentaux suivent son exemple. 

John Lennon, Strawberry Fields by Jeff Hopp, 1280 carrés, 25,3 x 20,3 cm

Après son interdiction, le LSD doit être vendu en passant par des réseaux illégaux de distribution. Les lois promulguées établissent une corrélation entre la dureté de la sanction et le poids de substance confisquée, tout en prenant en compte le poids du support sur lequel le LSD est transporté. Or, le poids des moyens de diffusion utilisés jusque-là était bien supérieur au poids du LSD qu’ils peuvent contenir. Une dose individuelle pèse entre 0,05 mg à 0,1 mg, tandis qu’un morceau de sucre pèse plusieurs grammes par exemple. 

Hofmann Bicycle Green 1943 – 30 x 30 cm

Il est donc nécessaire de trouver de nouveaux mediums plus légers. Une des solutions trouvées est d’imbiber du papier très absorbant de gouttes de LSD. Cette méthode apparait en Californie au début des années 1970. Les feuilles de buvard sont ensuite perforées en petits carrés de même taille, de manière à ce que des doses puissent être découpées facilement. La taille des feuilles d’acide n’est pas anodine non plus et est conçu pour en faciliter le transport clandestin. Les feuilles sont classiquement carrées, découpées en 900 plus petits carrés de 0,8 cm de côté. Cela permet de les glisser dans une pochette de vinyle 45 tours, et ainsi de les transporter en toute discrétion. Les fabricants impriment des symboles sur les carrés pour que les clients puissent identifier la provenance du LSD ainsi que le dosage. Ces signes sont plus ou moins cryptiques : par exemple une feuille représentant le personnage du Mr. Bill, du Saturday Night Live, signifiait qu’elle provenait d’un chimiste appelé Bill, et une feuille imprimée du logo des Grateful Dead signifiait qu’elle provenait du groupe. Ces premiers dessins étaient souvent des personnages de bande dessinée, ou bien des symboles graphiques et facilement reconnaissables. Cela donne naissance à une nouvelle branche de l’art psychédélique : le « blotter art ».

Trippy Kitty By Jessikah Angelo, 900 carrés, 19 x 19 cm

Rôle de Mark McCloud et les premiers collectionneurs : 

Mark McCloud est l’un des premiers collectionneurs de buvards. Il commence sa collection dans les années 1970, qui contient aujourd’hui plus de 10 000 pièces. Après avoir fait une expérience de mort et renaissance spirituelle en 1979 lors d’un accident sous LSD, McCloud décide de collectionner les buvards. Le fait de rassembler ces images, en plus d’avoir une signification artistique a un sens spirituel : c’est une manière pour lui de remercier le LSD de l’avoir fait réadvenir à la vie.

The Passion of Mark Mccloud, 1200 carrés

A cette époque, les feuilles sont toujours imbibées de LSD avant d’être vendues. Il commence donc sa collection en achetant des fragments de buvard, voire des doses individuelles. Mais bientôt il cherche à se procurer des feuilles qui n’ont jamais été en contact avec des substances psychoactives auprès des dealers. Il les encadre ensuite et les expose comme des œuvres à part entière chez lui

Pandora by Callie Fink and Steezzzyy, 280 carrés, 20 x 14 cm

Grâce aux collectionneurs, les images deviennent de plus en plus créatives, et gagnent en indépendance par rapport à leur fonction initiale. Un décor unique peut ainsi désormais emplir toute la feuille, et de nombreux buvards sont conçus purement pour leur intérêt artistique sans être destinés à contenir du LSD. Ces buvards sont appelés « vanity blotters ». Ces feuilles parfois imprimées en nombre limitées et signées de la main de l’artiste sont aujourd’hui recherchées par des collectionneurs spécialisés.

Mandala Eyes – 30×30

Sa collection, surnommée « the Institute of Illegal Images » est aujourd’hui la plus grande collection au monde de blotters – exceptée peut-être celle du FBI. Elle peut être visitée à San Francisco et plus connue par les amateurs sous le nom de « LSD Museum ». Il est important pour lui de dissocier l’art du blotter et l’usage de la drogue. Encadrer et exposer les œuvres est une manière de neutraliser le LSD, en effet celui-ci disparait au contact de l’oxygène et de la lumière ultraviolette. Le LSD dans ces conditions des transforme en une autre drogue, non hallucinogène, appelée « iso-LSD »

Mad (double Sided), 900 hits, 19 x 19 cm

Thèmes et inspirations : 

Le blotter art a son propre univers qui catalyse la créativité des artistes utilisant ce medium. Par exemple, les buvards reprennent très souvent des références à l’histoire du LSD. Il est ainsi fréquent de rencontrer des portraits de l’homme à l’origine de la découverte du LSD, Albert Hofmann, dont les photos les plus connues sont réutilisées de nombreuses manières. Il est également fréquent de trouver des designs montrant le logo de Sandoz, le laboratoire pharmaceutique où il travaillait. 

Eyes of the Mind by Jeff Hopp, 475 carrés, 20 x 15,5 cm

Ou bien encore, les « Orange Sunshines » sont réédités. Ce sont des acides mythiques dans l’histoire du LSD. Ils étaient les acides les plus purs diffusés à la fin des années 1960, et furent utilisés notamment à Woodstock. Ils étaient fabriqués par la Brotherhood of Eternal Love, une communauté de hippies vivant dans un écovillage. Inspirés par Timothy Leary, ils avaient créé une église vouée au LSD dans le but de commencer une révolution psychédélique.

Psychedelic Wow by Howie Green, 900 carrés, 22 x 22 cm

Certains thèmes résonnent particulièrement avec l’univers psychédélique et inspirent les artistes, comme la pop culture, les contes (Alice au pays des merveilles), la musique (Beatles, Grateful Dead) et l’art (Dalí). Les œuvres ont souvent un ton humoristique, donnant une vision du monde décalée et ironique.

La valeur artistique du buvard : 

Le buvard pose la question de ce qu’est l’art et de la valeur esthétique qu’un objet utilitaire peut avoir. Les feuilles trempées dans le LSD, aussi belles soient-elles, ont été pensé comme un objet consommable, voué à disparaitre. Mais cet aspect éphémère leur confère paradoxalement une forte valeur pécuniaire : les tablettes restantes des premières feuilles ayant été trempées dans du LSD se vendent très cher. La feuille rarissime “Heraldic Shields” dessinée par Kevin Barron et signée par Albert Hofmann et Timothy Leary s’est vendue aux enchères à 10 000€.

Heraldic Shields par Kevin Barron, 100 carrés, 20 x 20 cm

D’autre part, la forme du buvard le rend particulièrement propice à l’expression artistique. Le grain du papier permet d’obtenir une impression mate, tout en gardant des couleurs extrêmement vives. De plus, les feuilles contiennent en réalité plusieurs œuvres d’art mises en abyme : il est possible de collectionner les planches perforées entières, ou bien des carrés découpés de manière à isoler les motifs, formant à chaque fois des petits tableaux. La petite taille du buvard, loin d’en faire un art insignifiant, en fait un art de la miniature : le buvard capture le regard sur une toute petite surface. Selon Mark McCloud, les collectionneurs sont comparables à des philatélistes ou des numismates, comme eux ils admirent la beauté et la valeur des petites choses.

I Gave my Love Away by Tone (double face), 900 carrés, 19 x 19 cm
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