…Et 50 ans d’avance! Les Gilets Jaunes ont leur manifeste et les grèves actuelles réclament des revendications similaires à celles de ce film. Cette satire sociale dépeint les difficultés et les sacrifices que les travailleurs doivent faire pour obtenir une vie décente. Avec un casting de rêve, le scénario tournoie dans l’utopie et les méandres absurdes du capitalisme libéral. L’ humour du film est intelligent, souvent grinçant, sans concession mais le tragique n’est jamais loin. Nous célébrons aussi avec tristesse les 20 ans du décès de Jean Yanne ce 23 mai 2023.
Pour son deuxième film en tant que réalisateur, Jean Yanne revisite Mai 68 et tout le monde en prend pour son grade : les patrons, les syndicalistes, les hippies, les flics, les féministes, les curés, les journalistes, le cinéma… On y retrouve toute la fine équipe de « Tout le monde il est beau… » (Blier, Prévost, Serrault, Jacques François…) ainsi que la magnifique Nicole Calfan. A l’excellente bande originale du film, on retrouve le partenaire musical de Yanne, à savoir le grand Michel Magne en forme psychédélique et la prestation dantesque du groupe de prog-rock Magma. Cette œuvre visionnaire traite de sujets qui n’ont pas pris une ride : l’écologie, les revendications pour l’IVG, la mode, les grèves de pompistes, la géopolitique du pétrole, le marché européen…
Les voies impénétrables du capitalisme et son cynisme
C’est l’histoire de Benoît Lepape, conseiller financier d’une grande entreprise d’électronique. Il fait le désespoir de son oncle Adrien Colbart, président d’un syndicat ouvrier, qui estime que son neveu trahit sa famille en travaillant au profit de ses ennemis capitalistes. Lepape est mis à la porte pour avoir déconseillé d’investir dans des placements douteux mais préconisés par son patron, qui est également président du patronat français. L’ex-conseiller propose alors à son oncle de lutter contre le capitalisme de l’intérieur en rachetant en sous-main, avec l’argent du syndicat une fabrique de vélos en difficultés. Lepape espère réussir dans le monde des affaires afin de prendre sa revanche sur son ancien employeur.
“L’amour des sous…”.
Jean Yanne utilise le personnage de Benoît Lepape pour exprimer ses idées sur les relations sociales dans l’entreprise. Persuadé que les objectifs du syndicat sont justes et légitimes, mais que ses méthodes, manifestations et pancartes, sont vaines, Lepape pense qu’il faut combattre le capitalisme, et surtout ses excès, par le capitalisme lui-même. Les répliques fusent et le comique est d’une justesse déconcertante. Par exemple, Benoît Lepape dit : « La retraite à 40 ans, c’est ça qu’ils doivent obtenir. La moyenne de vie, c’est 63 ans alors 3 ans de vacances pour une vie de travail, c’est une escroquerie ».
Un casting de rêve
Il faut souligner le talent exceptionnel de Bernard Blier, que l’on est habitué à voir en patron suffisant ou en chef de la police autoritaire, et qui se glisse ici dans la peau d’un dirigeant de syndicat ouvrier avec une facilité incroyable. On oublie instantanément le Blier grand bourgeois pour adhérer au Blier prolo. A l’inverse, le rôle de prêtre est taillé sur mesure pour Michel Serrault, qui fût séminariste avant de choisir la comédie.
“Une cuillerée de caviar pour le président Mao…”
Jean Yanne a même pensé aux enragés, ou plutôt aux enragées, puisqu’il s’agit d’un groupe de furies féministes emmenées par Nicole Calfan, la sœur du prêtre. Ces enragées s’opposent souvent au syndicat, plus raisonnable malgré les apparences et prêt à négocier avec le patronat pour le bien des travailleurs. Ce pamphlet cinématographique prémonitoire se termine par une citation on ne peut plus actuelle :
« Le monde est fait d’imbéciles qui se battent contre des demeurés pour sauvegarder une société absurde ».
Film « Moi y’en a vouloir des sous » :
Lucydelic Team
Bande originale du film en vinyle :
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