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LSD : 80 ans de rebondissements

27 janvier 202422 min read

Nous vous proposons un grand dossier à l’occasion de l’anniversaire de la trouvaille scientifique apparemment anodine le 16 avril 1943, par le chimiste suisse Albert Hofmann. Cette substance puissante aux perceptions altérées, va avoir un impact majeur sur la culture et la société de l’époque et les générations futures. Explorons l’histoire fascinante de cette découverte, ses propriétés, son utilisation thérapeutique et récréative, ainsi que sa législation. Préparez-vous à plonger dans un monde de couleurs et découvrir pourquoi le LSD a été qualifié de « drogue de l’âme » par certains, et de « porte de sortie de secours » par d’autres.

Portrait d’Albert Hofmann sur 475 carrés de buvard

Diplômé de chimie de l’université de Zurich, Hofmann passe le plus clair de la Seconde Guerre mondiale à travailler au sein de l’entreprise pharmaceutique Sandoz. A la recherche d’une préparation pouvant tonifier le cœur, il se penche sur l’acide lysergique diéthylamide. En 1938, il parvient à synthétiser, avec son collègue Arthur Stoll, le LSD à partir de l’ergot de seigle, sans encore lui déceler ses capacités psychédéliques. Les effets hallucinogènes seront découverts cinq ans plus tard, en 1943, lors d’une expérience. Le chimiste entre en contact avec des émanations de diéthyllysergamide, le nom scientifique de ce psychostimulant

Le premier trip

Hofmann ressent des étourdissements, une sensation de vertige, une vision altérée, un engourdissement et des frissons après avoir pris du LSD par accident la première fois. Quelques jours plus tard, le 19 avril 1943, il décide d’en consommer intentionnellement 0,25 milligramme. Il rentre chez lui, à Bâle, en vélo. Au cours de son trajet de quatre kilomètres, ses sens se troublent, l’anxiété le gagne. Il est en proie à des hallucinations. Le chimiste vit le tout premier trip de l’histoire. Arrivé chez lui, il passe un test médical : aucune séquelle, si ce n’est des pupilles particulièrement dilatées. 

Portrait d’Hofmann par Fantoma, blotter art

« Tout ce qui entrait dans mon champ de vision oscillait et était déformé comme dans un miroir tordu. J’avais également le sentiment de ne pas avancer avec le vélo, alors que mon assistante me raconta plus tard que nous roulions en fait très vite. […] Petit à petit, je pouvais commencer à apprécier les couleurs et jeux de formes sans précédent qui persistaient sous mes yeux fermés. Des images kaléidoscopiques et fantastiques surgissaient devant moi, alternant, variant, s’ouvrant et se fermant en cercles et en spirales, explosant en fontaines colorées, se réarrangeant et s’hybridant elles-mêmes dans un flot constant… »

« LSD, mon enfant terrible », Albert Hoffman

Ayant pris conscience du potentiel de la substance, Sandoz dépose dans la foulée un brevet et la commercialise à des fins thérapeutiques pour traiter l’anxiété, la douleur, les addictions, la dépression, l’autisme, et même la criminalité (divisant les récidives par trois). 

Effets & propriétés 

Le LSD est un enthéogène, c’est-à-dire une substance psychoactive utilisée dans un contexte religieux ou spirituel. Il ouvre les profondeurs de l’inconscient. Il permet de développer l’empathie, la compassion, affaiblir l’égo et donner lieu à un sentiment d’unité. Les perceptions sensorielles sont élargies, la mémoire et les pensées sont accélérées. Il peut également entraîner une transformation de soi, en permettant une conscience éclairée et une vision plus complète du monde. 

Mini The Beatles – 10 x 10

« Si les politiciens prenaient du LSD, il n’y aurait plus de guerre ni de pauvreté, ou de famine »

Paul McCartney, Queen magazine, 1967

Un outil extrêmement puissant pour ouvrir les profondeurs de notre inconscient, des déformations perceptives de type hallucinations peuvent arriver dès 200 μg. L’identification de l’égo est affaibli, et logiquement il développe l’empathie émotionnelle (explicite et implicite), la sociabilité, la connexion, au lieu de penser à MOI on pense à NOUS. Le processus de mémorisation et de la pensée est accéléré, avec un cadre élargi. De nouvelles associations d’idées, une vision des choses hors contexte et une interprétation modifiée du sens des relations et des objets est fréquente. La perception sensorielle et imagerie mentale est amplifiée, des illusions sont possibles avec une synesthésie comme goûter les sons, sentir les couleurs, voir les odeurs. L’émotion positive est intensifiée, comme un rêve éveillé et certains atteindront l’illumination et ressentiront le bonheur. D’autres pourront avoir des effets secondaires tels que des états de psychose, des flashbacks et faire un bad trip si l’environnement et l’état d’esprit au moment de la prise n’est pas propice. 

I Gave my Love Away by Tone Double Sided – 30×30

Les effets du LSD apparaissent environ une heure après la prise et peuvent durer pendant douze heures. L’expérience sous l’influence du LSD est appelée “voyage” ou “trip”. Sous sa forme la plus pure, le LSD a l’aspect d’une poudre cristalline blanche, inodore et sans goût. Il était à l’origine vendu sous forme de pilules. Lorsque la police a commencé à condamner les trafiquants en fonction du poids des pilules, les trafiquants ont rapidement trouvé un substitut léger, sous forme de petits carrés de papier buvard. Ces carrés contiennent chacun une dose de LSD et sont consommés par voie orale, généralement gardés sur la langue ou avalés. Une fois imprimées, les planches de buvards sont parfois utilisées pour devenir des objets de collections appelées blotter art ou buvards artistiques (retrouvez en sur le Psychedelic Shop https://psychedelicshop.net/categorie-produit/blotter-art/ ).

Logo de Sandoz, blotter art

Bicycle Day

La journée du 19 avril 1943 est passée à la postérité auprès de la communauté « psychonaute » (nom donné aux amateurs de psychotropes), comme le « Bicycle Day », le jour où le vélo a permis une invention hors du commun. Un héritage et un nom qu’on doit à Thomas Roberts, qui a le premier commencé à célébrer l’événement, en 1985 : 

« Le vélo était une image plus concrète qu’une structure chimique. Et aux États-Unis, il y a un poème qui marque le début de notre révolution en 1775, « Chevauchée de Paul Revere ». Pour moi, la chevauchée d’Hofmann est similaire, parce qu’elle marque aussi le début d’une ère. »

Dr. Hofmann voyait une “crise spirituelle” dans les sociétés industrielles occidentales qui demandent que l’on tourne la page du matérialisme et que l’on découvre d’autres systèmes de compréhension. Cette vue a donné une dimension politique au LSD. Des mouvements comme la Beat Generation et les Situationnistes se créent en contradiction avec la société de consommation sclérosée de l’après-guerre. 

Rappel des grands promoteurs du LSD

Michael Hollingshead, un chercheur britannique financé par le Rockefeller institute dans les années 1960, est convaincu des ses bienfaits du LSD. Il entreprend une véritable croisade pour le répandre dans le monde. C’est ainsi qu’il  rencontre un autre passionné, Timothy Leary, psychologue américain et lui fait goûter la substance pour la première fois avec l’équivalent de six fois la dose normale. Ceci aura un impact énorme sur sa vie, il développe le complexe du Messie et prêche alors les vertus spirituelles et thérapeutiques du LSD à Harvard où il fournira près de 3000 doses à des étudiants. Il crée l’International Federation of Internal Freedom (IFIF) puis la Psychedelic Review et se fait héberger plusieurs années par le milliardaire William Melon Hitchcock dans la Millbrook mansion. Sa popularité explose et il passe d’agent de la CIA à devenir l’ennemi public n°1 selon le Président Nixon. Ken Kesey est un personnage improbable, il va promouvoir une autre approche avec la consommation de LSD dans un contexte récréatif. Après avoir écrit le best seller Vol au-dessus d’un nid de coucou, il organise dès 1965 des fêtes psychédéliques, appelées Acid Tests. Il achète un bus scolaire et sillonne les Etats-Unis avec une bande de joyeux lurons, les Merry Prankster.

Les participants sont invités à prendre du LSD et à vivre une expérience collective et transcendante, accompagnés de musique psychédélique et d’effets visuels, créant ainsi une atmosphère festive et stimulante. L’on parlera de Owsley Stanley, dit « Bear », et du Brotherhood of Eternal Love, les plus grands fabricants de LSD ou de Aldous Huxley dans des articles à venir.

LSD, Mark McCloud, 2009, Etats-Unis, poster.

La CIA, ses Psychedelic Rangers et la poursuite du sérum de vérité 

Dès 1953 la CIA et son projet MK-ULTRA développent des techniques de contrôle et de programmation de l’esprit via 149 projets liés à l’armée, la torture, l’hypnose et bien d’autres malversations. L’utilité se fera principalement pour l’espionnage et l’empoisonnement des individus sans leur consentement et discréditer des personnalités gênantes. Des tests ont lieu dans 86 institutions à travers le pays (universités, prisons, hôpitaux…) avec des chercheurs qui n’ont aucune idée que le commanditaire final est la CIA. La CIA va suivre les préconisations de l’abominable Think tank de la Rand Corporation (encore actif) qui conseille de le diffuser  pour casser l’activisme de gauche qui monte de manière exponentielle dans les années 1960. Pour cela elle crée les Psychedelic Rangers, l’un d’eux Michael Bowen va s’appuyer sur des passionnés, qu’ils soient producteurs de spectacle, de journaux ou festivals, pour rendre sa propagande crédible et développer la disponibilité du LSD, tandis que le Captain Al Hubbard va le promouvoir à tout va auprès des célébrités (J. Nicholson, C.Grant, etc).

Agents secrets pour infiltrer les milieux gauchistes

Mini FBI by Monkey Blue – 10 x 10

En 1965, Abbie Hoffman, un militant anti-guerre et cofondateur du mouvement des Yippies, sera empoisonné au LSD par un de ses amis, en réalité un agent secret qui cherchait à le discréditer. Le mouvement étudiant Students for a Democratic Society (SDS), qui avait une croissance exponentielle en 1968 avec plus de 100 000 membres, était également dans le viseur de la CIA. En 1966, le président de l’organisation, Carl Oglesby, a déclaré que « la CIA avait drogué une génération entière d’Américains pour les désorienter sous calmants et les dépolitiser ». Cette déclaration reflète la profonde méfiance envers le gouvernement qui régnait à l’époque. Le mouvement Flower Power émerge et lutte de manière non-violente pour un monde pacifique, égalitaire et écologique, tout en protestant contre la guerre du Vietnam et la société de consommation. Les Flower Child organisent des sit-ins, des marches et participent à des festivals de musique, tels que le célèbre festival de Woodstock en 1969, considéré comme le plus grand hotspot historique du LSD. Fin 1966, le LSD est interdit car ses effets sont ambivalents, puis criminalisé en 1970, et les recherches scientifiques sont arrêtées près de 40 ans. A cette époque, 14% des étudiants avaient essayé le LSD.

Législation

Le diéthyllysergamide était disponible en pharmacie aux États-Unis avant d’être interdit fin 1996. Aujourd’hui, il est classé comme une substance de l’annexe I aux USA et en France, ce qui signifie que l’utilisation médicinale n’est pas acceptée et qu’il a un haut potentiel d’abus. Dans d’autres pays comme la Suisse, l’utilisation thérapeutique du LSD est autorisée sous certaines conditions. Tandis qu’aux Pays-Bas, le LSD est considéré comme une drogue de catégorie II, ce qui signifie qu’il est illégal, mais toléré pour un usage personnel et contrôlé. La détection du LSD est difficile car il ne reste pas dans le sang. Albert Hoffmann a toujours déclaré que son usage récréatif était dangereux, en revanche, il a toujours défendu son utilité scientifique et se positionne en faveur de sa légalisation.

Mini Hofmann by Jeff Hopp – 10 x 10

Moyen thérapeutique

Cette molécule a été utilisée par des neurologues et psychiatres dans le traitement de certaines psychoses. En 1947, est publié par le psychiatre suisse Werner Stoll le premier article sur les effets psychiques de la molécule. Le LSD a fait l’objet de nombreuses recherches dans les années 1950. Ces recherches ont porté sur les vertus thérapeutiques de l’expérience « psychédélique » dans le traitement de l’alcoolisme et des maladies mentales chroniques et pour aider les patients en phase terminale à accepter la mort. Timothy Leary propose une thérapie psychédélique en proposant l’administration d’une forte dose, susceptible de déclencher chez certains angoissés une expérience proche de l’illumination religieuse ou mystique, pour ensuite les aider à reconstruire leur personnalité.

D’autres expérimentent ce produit dans le cadre de cures de désintoxication alcoolique avec des résultats bluffants… Des recherches récentes ont montré que le LSD peut aider à traiter la dépression, l’anxiété, le trouble de stress post-traumatique et d’autres troubles mentaux chez les vétérans de guerre par exemple. Aujourd’hui, plusieurs organisations mènent des recherches sur l’utilisation de substances psychédéliques pour le traitement de divers troubles de santé mentale. Les études de MAPS (Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies), une association à but non lucratif fondée en 1986, offrent l’espoir pour les personnes souffrant de troubles psychologiques et qui cherchent des options thérapeutiques alternatives.

Blotter célébrant le bicycle day

C’est une tendance dans la Silicon Valley : le microdosing 

Un nouvelle pratique de prise du LSD est apparue aujourd’hui : le microdosing. Elle consiste à prendre une dose très faible, généralement un dixième de la quantité normale, pour obtenir des effets subtils et améliorer les performances cognitives, la créativité et l’humeur. Depuis les années 2000, cette tendance a gagné en popularité, en grande partie grâce à la diffusion de témoignages positifs sur les réseaux sociaux.

Cory McCloud, un des multiples entrepreneurs de la Silicon Valley qui en prend l’explique “Ça m’aide à concevoir des systèmes dans ma tête, à imaginer les architectures dont j’ai besoin pour mes projets. Il y a un effet Eurêka”.

En fin de compte

Le LSD continue de susciter des débats intenses sur sa réglementation et son utilisation. Alors que certains le considèrent comme un outil thérapeutique puissant et prometteur, les pouvoirs publics craignent ses effets potentiellement dangereux sur la santé mentale. Au cours de sa carrière, Hofmann a publié de nombreux articles scientifiques, ainsi que plusieurs livres, dont « LSD: My Problem Child » en 1980. Il meurt en 2008 à l’âge de 102 ans, laissant derrière lui un héritage durable dans la culture populaire et scientifique en tant que pionnier de la recherche sur les hallucinogènes et leurs potentiels thérapeutiques.

Jaïs Elalouf

* LSD signifie acide lysergique diéthylamide, connu aussi sous le nom d’acide, buvard, window pane. À l’origine, le LSD est un dérivé de l’ergot, un champignon qui pousse sur le seigle.

LSD and the Divine Scientist, Albert Hofmann, 2013 :

https://www.amazon.fr/LSD-Divine-Scientist-ALBERT-HOFMANN/dp/1620550091/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1683130442&sr=8-1

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Cet article ne constitue pas une incitation à consommer des substances illicites.

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