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Peace & Lost : Que reste-t-il du mouvement hippie ?

11 octobre 202415 min read

Il fut un temps où les hippies déambulaient, prêchant la paix et l’amour, dézinguant les illusions américaines à coups de fleurs et d’acide. Aujourd’hui, les héritiers de ces rêveurs pacifistes se sont transformés en une tribu hybride, moitié ingénieur, moitié chaman, évoluant entre la quête du bien-être ultime et le besoin irrépressible de vérifier ses notifications. Les néo-hippies réinventent les règles d’un jeu où la révolution se danse et se code à coups de pixels et de vibes psychédéliques.

L’héritage des années 60 : des fleurs dans le fusil à la révolution digitale

Les années 1960, bordel, glorieuse décennie où les jeunes traçaient des chemins de traverse, loin des autoroutes du rêve américain, prônant l’amour libre, la paix, la non-violence tout en rageant contre la guerre du Vietnam. Inspirés par les Beatniks, ces pionniers prenaient la route de Katmandou comme d’autres partent en croisade.

©Jais Elalouf

C’était le temps des acides, des interminables solos de guitare, le temps des utopies où l’on croyait dur comme fer que la musique de Janis Joplin, de Jimi Hendrix, des Grateful Dead, de Bob Dylan et des Doors allait vraiment changer le monde.

Lucydelic Chill 2024

Au cœur de cette effervescence, les Diggers sont arrivés avec une idée génialement simple et marxiste : la gratuité tous azimuts. De la bouffe aux fringues, en passant par mille services, ces primo-hippies ont fait de San Francisco un laboratoire du free spirit/free market, monumental pied de nez à la société de consommation. 

Dans le même délire, le Whole Earth Catalog est né. Ce bouquin expliquait comment subsister en autonomie totale, hors du système. Avec ce catalogue en main, le commun de Haight-Ashbury pouvait s’installer en pleine cambrousse et ne plus jamais voir la gueule du banquier. Ironie du sort, des années plus tard, Google s’en est inspiré pour bâtir son empire numérique, transformant la contre-culture en outil de domination globale.

TAZ : la nouvelle cartographie des utopies

Les néo-hippies, quant à eux, ont pris ce flambeau et l’ont transformé en LED multicolores. Inspirés par les Rainbow Gatherings nés en 1971 et toujours actifs, ils continuent d’explorer les TAZ (zones autonomes temporaires), concept popularisé par Hakim Bey. Ces espaces hors du temps, comme les micro-nations de pirates, ont des règles qui ont fortement inspiré Burning Man. 

Robot heart morning

Ces rassemblements ont lieu chaque été dans une quarantaine de pays attirent jusqu’à 5000 « hippies hardcore » lors des jours de pleine lune. Ils sont devenus le terrain de jeu idéal durant un mois, pour vivre avec les aléas et la beauté de la nature, autour d’un grand feu, loin du « monde par défaut », sans argent, sans électricité et sans hiérarchie.

Ces mutants ont troqué les pantalons à pattes d’eph’ pour des fringues en lin bio, remplacé les fleurs dans les cheveux par des tatouages géométriques et des bijoux en macramé. Fini les délires de masse à Woodstock, place aux festivals transformationnels. Des temples modernes où l’on se refait une conscience en se défonçant aux infra-basses ou en méditant devant un coucher de soleil digitalisé. Ce sont des laboratoires où l’on expérimente de nouvelles façons de vivre, où l’on joue à créer des réalités alternatives et tout réinventer.

Burning Man, Fusion et le rêve anarchiste

Burning Man est La Mecque des hippies 2.0. Chaque année, à Black Rock City, au milieu du néant du Nevada, des milliers de personnes se rassemblent pour créer un monde temporaire où tout est possible. C’est l’anti-festival ultime, un délire collectif où l’argent ne sert à rien, où les échanges se font par le don. Ici, l’art est roi et l’argent, banni : les participants ne viennent pas pour consommer, mais pour créer, se perdre ou se trouver, pour brûler tout ce qui est ancien et imaginer ce qui peut renaître des cendres.

©Jais Elalouf

Burning Man n’est pas le seul à incarner cette folie collective. En Allemagne, le Fusion Festival se place comme l’événement anarcho-hippie du vieux continent. On y trouve de tout : performances improbables, musiques éclectiques avec près de 700 artistes (souvent en devenir) et un esprit de rébellion contre toutes les formes de pouvoir. Pas de sponsors, pas de pub, le Fusion Festival est un carrefour de la contre-culture où se mêlent musique, art et idéaux de liberté sur plus de 30 sound systems pour 80 000 tickets vendus. L’événement affiche complet d’une année sur l’autre.

 

Et ça ne s’arrête pas là. Le monde entier est devenu une scène pour ces festivals qui n’ont plus de frontières ; du Boom Festival au Portugal à Ozora en Hongrie, où les vibrations de la psytrance entraînent dans des voyages intérieurs profonds. On y retrouve un public en quête de quelque chose de plus grand, qui transcende les langues et les cultures. Réunissant 40 000 individus autour de valeurs communes de bien-être, créativité, et de respect de l’environnement. Ces événements participent à l’émergence d’une culture globale alternative, où les utopies se rencontrent et s’enrichissent mutuellement, créant des espaces où les rêves collectifs prennent vie.

Mais pas besoin de traverser l’Atlantique pour vivre cette expérience. Pour comprendre le cœur battant de cette nouvelle génération, on peut plonger dans l’univers de festivals français, qui se sont diversifiés à l’extrême. D’un côté, il y a ceux qui cultivent une dimension spirituelle, comme Isis Garden, le Festival du ChamanismeAu Cœur du Sacré, où l’on vient pour communier avec les esprits, se reconnecter à la nature, et toute cette mystique qui fait écho aux aspirations des hippies. De l’autre, des festivals

comme Château-Perché ou Hedone incarnent un hédonisme plus commercial, où l’expérience sensorielle prime qu’elle soit érotique ou esthétique.

 

Entre ces deux extrêmes, il y a des festivals participatifs non commerciaux, inspirés par l’esprit de Burning Man comme OpalCoucoolCrème Brûlée, ou Planète Sauvage. Ces événements sont des laboratoires sociaux, des tentatives de TAZ éphémères, où l’on se libère de tout, y compris des contraintes matérielles, pour plonger dans une fête totale. L’ambiance et l’expérience priment, et la musique est aléatoire. Il est souvent difficile de trouver le programme ce qui rend le FOMO inopérant, on vit un Carpe Diem sans portable. La dimension sex-positive est présente avec des espaces dédiés et cadrés, on se lâche, on s’habille avec style, tout en étant LGBTQIA+ friendly. Des espaces où la bienveillance et le consentement sont de mise pour les CSP+ présents ; un cadre où chacun est libre d’explorer ses envies, loin des jugements et des conventions sociales.

Et puis, il y a les festivals purement musicaux, comme ceux de trance (Hadra), ou plus éclectiques comme Pete the Monkey et Le Rêve de l’Aborigène. Ce sont des temples modernes, où la communauté se crée au rythme des basses qui résonnent jusqu’à l’aube. Ici, la musique frénétique ou reposante des scènes chill-out devient un moyen d’échapper à la réalité pour quelques jours...

 

Le paradoxe néo-hippie

Être néo-hippie, c’est assumer d’être un oxymore bipède. Difficile de prêcher avec cohérence l’autosuffisance, la connexion avec la nature en restant scotché à son iPhone 15 en quête d’absolu mais aussi d’un réseau

Wi-Fi. 

Là où les hippies cultivaient leur potager avec trois bouts de ficelle et un vieux manuel, eux créent des smart villages couverts de panneaux solaires et des systèmes de gestion intelligente de l’eau. La contradiction est totale, mais c’est ce qui les fait tenir debout.

 

À la fin des années 1960, les hippies avaient un seul mantra en tête : celui de prendre la route. Le voyage était la quête ultime : il s’agissait avant tout de partir à l’aventure pour construire une vie nouvelle. On grimpait dans un combi van Volkswagen comme d’autres embarquent sur un navire pirate en mettant le cap sur le meilleur des horizons. Katmandou, Ibiza, Goa, Frisco, Tanger… Ces noms résonnaient comme des sésames pour ouvrir les portes d’un monde sans règles, où tout était à réinventer. Chaque kilomètre parcouru était une rupture avec le conformisme, une incursion dans un univers où la loi du marché n’avait plus de prise. Les routes devenaient des destinations empruntées au gré des rencontres.

L’appel de la route : du Van Volkswagen à la maison mobile, le rêve de liberté continue

Aujourd’hui, ce rêve de liberté roule toujours, mais dans un WW hybride climatisé. Les néo-hippies ont des mobile-homes truffés d’outils high-tech (panneaux solaires sur le toit, Wi-Fi embarqué – bienvenue dans la road life du xxie siècle) et parcourent le monde pour travailler à distance et partager leurs aventures en temps réel sur les réseaux sociaux. 

Burning man - Galaxia - The Temple, 2018
Burning man, 2018
Burning man, 2018

Au-delà de certaines contradictions, la même quête d’absolu anime la nouvelle génération baba cool : vivre en dehors des cases, refuser la sédentarité et s’abandonner à la route pour y trouver la liberté.

Parmi les marqueurs sociétaux néo-hippies, un net refus de se soumettre aux contraintes du salariat traditionnel, du sacro-saint CDI de papa/maman. Majoritairement composée de free-lances, artistes, artisans et surtout de digital nomads, la relève hippie revendique une volonté de gérer son temps comme elle l’entend. 

Que ce soit un après-midi en semaine dans un café à Bali ou un dimanche entier depuis un van à Ibiza, l’important est que le boulot soit fait, mais pas au détriment du plaisir.

Beaucoup d’entre eux explorent l’underground urbain, là où l’alternative rencontre la réalité brutale des villes. Le mouvement des squats est un bon exemple de cette résistance urbaine : un espace où l’on vit, crée et résiste aux forces de gentrification qui grignotent peu à peu chaque coin alternatif. Les tiers-lieux, ces espaces hybrides où l’on travaille, crée et vit ensemble, sont de plus en plus nombreux. À l’image des WeWork d’Adam Neumann (success néo-hippie par excellence), ces lieux communautaires qui autrefois symbolisaient la rébellion, s’institutionnalisent… pour bientôt devenir la norme ? Peace and work, bro!

 

 

Jaïs Elalouf

Burning man, 2018

Cet article est une réécriture de l’article sortie dans le magazine Ze Weed 6

Zeweed #6
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