S’il existe une médecine psychédélique millénaire, c’est bien le chamanisme. Même si cette dénomination un peu fourre-tout a ses détracteurs, quand on se renseigne sur le chamanisme d’Amérique latine et d’Amérique du Sud, on y découvre un usage quasi systématique de plantes considérées comme « sacrées » par les chamans, et enthéogènes « qui donnent accès au divin » par la communauté psychédélique.
Ancien journaliste dans le domaine culturel, Benoit Cholet a sillonné depuis 25 ans l’univers des chamans de cette Amérique des peuples racines indigènes. Il nous en a ramené un texte intitulé « De la médecine chamanique à la libération spirituelle » qui se présente en deux tomes : « Les parasites énergétiques » et « Les virus de l’esprit ».
Le premier qui sort ces jours-ci est consacré à ce qu’il est convenu d’appeler « la médecine chamanique ». Il s’attache à en décrire un phénomène méconnu en occident, celui de l’existence d’entités énergétiques liées à nos maladies, traumatismes, addictions, problèmes relationnels… que les chamans enlèvent sur leurs patients lors de soins dits d’ « extraction chamanique » et qui peuvent être considérés comme des nettoyages énergétiques.
Benoit Cholet
Entretien avec Benoît Cholet : Les parasites énergétiques
Jaïs Elalouf : Comment en vient-on à passer du journalisme culturel au chamanisme ?
Benoît Cholet : Vu que je soupçonne le hasard de ne pas exister, je dirais que c’est le fait de plusieurs coïncidences. Dans mon cas, je n’étais pas consciemment en recherche de guérison ou de spiritualité. Pourtant avec le recul, je peux dire qu’à l’origine de mon premier voyage au Mexique, il y avait une perte de sens suite à un choc vécu dans ma vie personnelle.
J.E. : Et le chamanisme était sur le chemin ?
B.C. : Oui, exactement. Je devais aller de Los Angeles à Buenos Aires par la route, et au bout d’un mois de voyage, on a fait une escale à Huautla de Jimenez pour rendre visite à une connaissance de l’amie avec qui je voyageais. Nous savions qu’il habitait là depuis 3 ans et à notre grande surprise, nous n’avons pas débarqué chez lui, mais chez le chaman dont il était l’élève, depuis 3 ans. Je ne suis jamais allé à Buenos Aires.
J.E. : C’est un endroit connu dans le milieu du chamanisme, non ?
B.C. : Oui, mais je ne connaissais pas du tout ce milieu. Il se trouve que c’est là que Gordon Wasson a rencontré la chamane mazatèque Maria Sabina. C’était en 1953 et comme il a raconté sa cérémonie avec elle dans le magazine Life, ce n’est pas passé inaperçu. Des premiers beatniks aux hippies toute un faune américaine qui découvrait aussi les écrits de Castaneda a déboulé. On dit même que les Beatles y sont allés à l’époque. Finalement ça ne s’est pas trop bien passé, les indiens ont fini par chasser les occidentaux qui ne respectaient plus le caractère sacré des champignons utilisés dans leur chamanisme en tant que « médecine ».
J.E. : Donc tu as changé de sujet et tu t’es mis à écrire sur le chamanisme.
B.C. : Non, j’aurais bien aimé mais ça ne pouvait pas se passer comme ça. Pendant des années je ne me sentais pas du tout légitime ou compétant pour écrire quoi que ce soit sur le sujet. En vrai, je ne comprenais rien à ce qui se passait vraiment dans une cérémonie. Bon, j’engrangeais les informations et les découvertes, je sentais les guérisons et l’extase enthéogénique, je vivais d’intenses prises de conscience, mais je n’aurais pas pu en parler de façon cohérente. J’ai quand même écrit quelques chansons à l’époque, j’y abordais le sujet de façon poétique et imagée, mais je n’aurais pas pu écrire les livres que j’écris aujourd’hui. Je n’avais pas accès à ces informations. Comme parallèlement je m’éloignais de l’actualité culturelle, j’ai fini par arrêter d’écrire et j’ai fait des petits boulots, des saisons, pour financer de nouveaux voyages.
J.E. : Toujours chez les mazatèques ?
B.C. : Au début oui. Lors de mon premier voyage j’y été resté 5 mois, puis j’ai fait plusieurs fois 3 mois, 6 mois… J’ai pu passer près de 3 ans sur place, avec aussi un séjour très intense chez les Huichols pour le compte d’une ONG. J’ai ensuite arrêté quelques années et j’ai décidé d’aller plus au sud, en Bolivie, puis en Amazonie, au Pérou et en Équateur.
J.E. : C’est là que tu as découvert l’ayahuasca ?
B.C. : Oui, j’avais fait une cérémonie en France quand c’était encore légal, c’est à dire pas encore interdit. Comme je savais pas trop où aller en Amazonie, je suis d’abord allé dans les Andes et c’est là qu’un chaman quechua m’a donné le contact dont j’avais besoin. Du coup, je me suis retrouvé dans un village shipibo en tant qu’ami de leur ami de la Vallée Sacrée. Un contexte privilégié.
B.C. : Une fois le contact établi avec la plante, c’est elle qui m’a montré ce qui se passait vraiment, en particulier lors des soins chamaniques. Quand j’ai commencé à comprendre la vision chamanique de la santé, j’étais très étonné. Je m’étais quand même un peu documenté mais je n’avais rien lu qui détaillait le phénomène dont je prenais conscience. Devant mon étonnement, c’est la plante qui m’a demandé de mettre cette vision par écrit. C’est là que je me suis remis à l’écriture, c’était 14 ans après mon premier voyage. Mais ça a pris du temps, ce n’est pas facile de mettre en mots l’invisible, l’ineffable.
J.E. : Et cette vision, c’est « Les parasites énergétiques » ?
B.C. : Oui, entre autre. Mais c’est par ce phénomène que j’ai choisi de commencer. Le principe est simple. Je vais prendre l’exemple d’un choc traumatique qu’il soit physique, émotionnel ou psychologique, ou même les 3 à la fois. Lors du choc « le corps énergétique », les chamans disent « l’esprit », de la personne est lui aussi choqué, blessé, ce qui provoque une sorte de plaie énergétique, de faille, de brèche par laquelle de l’énergie va s’écouler. Dans le même temps, la personne se retrouve dans un état bien particulier. La vision chamanique que je décris dans le premier livre, c’est la vision selon laquelle une entité énergétique parasite va venir se nourrir de cette énergie particulière via la fuite. Cette entité va pouvoir s’accrocher à cette plaie, voire y pénétrer pour s’installer à l’intérieur, y trouvant alors le gîte et le couvert. Sa présence sera selon les cas, la cause de problèmes psychologiques, de maladies physiques, de perturbations émotionnelles… Les chamans enlèvent ces entités pour soigner leurs patients. C’est l’extraction chamanique. Dans la médecine chamanique, il y a aussi le recouvrement d’âme, que je décris aussi en montrant comment ces deux phénomènes sont souvent liés.
J.E. : Une maladie liée à la présence d’un « esprit » c’est très moyen-ageux comme vision.
B.C. : Effectivement, c’est même une vision « archaïque » de la santé. L’historien Mircea Eliade utilisait ce mot pour qualifier les techniques chamaniques. C’était en fait la vision qui prédominait dans l’humanité avant l’élaboration d’une médecine dite « scientifique ». Mais elle est encore bien vivante et pas seulement dans les sociétés chamaniques. Le psychologue Tobie Nathan estime que de nos jours encore, le médicament le plus utilisé au monde c’est la prière. Et pour lui, en second, il y a le poulet sacrifié pour faire plaisir aux esprits. Dans le livre je me penche sur les différentes façons dont ce phénomène a été perçu et interprété, à quoi il correspond dans certaines traditions, dans les médecines énergétiques… J’ai recherché comment il était traité par les chamans du monde entier, comment il pouvait être interprété en psychologie, par les religions… Je fais aussi le parallèle entre les parasites qui vivent dans le monde physique et qui eux, sont connus et décrits par les scientifiques.
Par exemple, de nombreux parasites du monde « matériel » peuvent influencer le comportement de leur hôte à leur avantage. Le plus connu, c’est « toxoplasma gondi » un être uni-cellulaire qui ne peut se reproduire que dans l’estomac d’un félin. Pour arriver à ses fins il va se faire manger par une proie de ce félin, et va conditionner ce premier hôte à ne plus avoir peur de son prédateur, le poussant même à aller vers lui. C’est un exemple parmi beaucoup d’autres. Et dans l’énergie, c’est pareil. Le parasite énergétique va faire en sorte que son hôte se replonge dans le même état traumatique pour qu’il se mette à produire sa nourriture préférée. Il y a de multiples variantes à ce principe que je détaille dans le livre, mais quand j’ai découvert ce parallèle entre monde physique et monde énergétique, j’ai été conforté dans le choix du mot « parasite » pour qualifier les entités que les chamans traquent avant d’opérer leurs « extractions ».
J.E. : Pour vous, cette vision est la réalité ?
B.C. : Oui. D’une part c’est la réalité chamanique, celle des chamans, des cultures chamaniques… D’autre part on la retrouve ailleurs dans les cultures animistes comme dans les évangiles. Mais au final, j’ai la conviction que la réalité chamanique, c’est à dire cette vision spirituelle et énergétique du monde, les chamans parlent du « monde des esprits », est une réalité tout à fait objective. Pour moi, elle précède même le monde physique, matériel. Elle l’engendre en quelque sorte, elle l’englobe. Elle le conditionne de multiples manières, et il y a des interactions entre les deux. Les chamans travaillent au cœur de ces interactions. Ils sont capables d’accéder à l’énergie via le corps de leur patient, de recevoir des messages des esprits, de travailler en collaboration avec certains d’entre eux comme leurs animaux « totems » par exemple… Terrence Mc Kenna, que je considère comme un grand visionnaire du psychédélisme, utilisait le mot « déshallucination » pour exprimer le fait que les plantes sacrées enthéogènes ne faisaient pas halluciner bien au contraire : pour lui l’ « hallu » c’était notre monde matériel comme dans « Matrix ». Les chamans ont aussi cette vision. Je pense que faire renaître cette vision archaïque de nos jours, peut faire à la fois partie d’un réenchantement du monde, mais aussi recentrer notre compréhension du vivant, permettre de comprendre comment fonctionnent les soins énergétiques et même donner du sens aux hypothèses théoriques issues de la physique quantique. Pendant trop longtemps les religions ont monopolisé notre rapport à la spiritualité, alors qu’avec l’expérience chamanique, l’expérience directe, on peut se la réapproprier et redevenir consciemment ce que nous sommes en réalité : des êtres spirituels vivant une expérience terrestre. Parfois je me dis que si tout le monde pouvait voir l’énergie, les esprits des uns et des autres, comme les chamans les voient lors de leurs transes, cela changerait totalement l’humanité, sa santé mentale, ses valeurs, son rapport à la nature, son avenir… Tout le monde voudrait nettoyer ses énergies, guérir, travailler au service de la vie, de l’amour…
Interview réalisée par Jaïs Elalouf
En attendant le site internet, les livres de Benoit Cholet avec une préface du Dr Olivier Chambon sont disponibles ici : https://www.helloasso.com/associations/pura-vida-social-club/collectes/les-parasites-energetiques-les-virus-de-l-esprit-editions-de-tout-du-tout